KR’TNT!
KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME
LIVRAISON 591
A ROCKLIT PRODUCTION
FB: KR’TNT KR’TNT
09 / 03 / 2023
THE ASSOCIATION / RIDE / BURT BACHARACH
NORTH MISSISSIPPI ALLSTARS / JOHNNY DUNCAN
THE STILETTO SHAKERS / WOLWES IN WINTER
HERVE GAGNON / PIONNIERS DU ROCK
ROCKAMBOLESQUES
Sur ce site: livraisons 318 – 591
Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur:
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Association de bienfaiteurs
Pas facile d’évoquer l’histoire d’un groupe aussi parfait que The Association. Dans Shindig!, David Pearson rappelle qu’en 1968, ils étaient devenus l’un des groupes les plus célèbres aux États-Unis. Ils collectionnaient des friendly radio-hits et les albums à succès. Et pour beaucoup de gens, le cas Associatif reste un mystère : pourquoi n’ont-ils pas connu le même succès que CS&N, les Beach Boys ou les Byrds ? Ils passaient dans tous les grands shows télévisés de l’époque. C’est eux qu’on voit faire l’ouverture du Monterey Pop Festival dans le film qui est consacré à cet événement révolutionnaire. Question notoriété, ils n’avaient plus rien à prouver.
Quand ils rejettent le «MacArthur Park» que leur propose Jimmy Webb, ils commettent une erreur fatale. Ils passent à côté du hit séculaire. C’est là que leur producteur Bones Howe démissionne. Le groupe subissait la même pression que les Beach Boys : Bones Howe ne voulait pas qu’ils changent de style et, comme Brian Wilson, l’Association voulait évoluer vers quelque chose de plus psychédélique. Enregistrer des chansons d’amour ne les intéressait plus.
La plupart des membres savaient composer, ce qui constituait l’une des grandes forces du groupe. Les plus brillants étaient Jules Alexander et Terry Kirkman, mais les autres amenaient aussi de bonnes chansons chaque fois qu’ils entraient en studio pour attaquer un nouvel album. Pour situer l’Association, on peut parler de sunshine pop californienne richement drapée d’harmonies vocales.
On peut écouter les albums, mais attention, le groupe ne tient pas forcément la distance. Ils sont un peu comme les Hollies, un groupe à hits, et comme on le verra plus loin, une bonne compile de hits peut suffire.
Leur premier album s’appelle And The Along Comes The Association et paraît en 1966. C’est là que se trouve leur premier grand hit américain, «Along Comes Mary», un clin d’œil à la marijuana. On les voit chanter ça à Monterey, joli coup de Jarnac, monté sur une bassline galopante et une belle dynamique incursive. Tout est là, les clap-hands et les harmonies vocales généreuses. Big California sound, l’un des hits de l’âge d’or. Et pourtant, en 1966, ils sont encore en costumes cravates avec des bobines de VRP. L’autre grand hit du groupe, «Cherish» ouvre le bal de la B, mais il vieillit mal, trop romantico. Il vaut mieux aller sur le psych-folk d’«Enter The Young», il faut les voir swinguer leurs harmonies vocales. On les sent sharp et très dynamiques, taillés pour la route. Mais c’est encore l’époque des belles chansons sans histoires. Avec «Don’t Blame It On me», ils se rapprochent des Mamas & The Papas et leurs pah pah éclatent joliment dans l’azur immaculé. On se régale des guitares clairvoyantes de «Blistered», c’est l’apanage des grands groupes californiens à guitares. Mais on l’a dit, peu de groupes savent à cette époque tenir la distance d’un album. On s’ennuie un peu en B et Jules Alexander qui s’appelle encore Gary amène «Round Again». On sent une patte. Il swingue sa pop et l’enroule pour mieux la dérouler au rythme d’une vie heureuse. Très haut niveau, pas loin des riches heures de Michel Legrand. L’Alexander referme le bouclard avec «Changes», une pop à combustion lente. Il tient bien sa pop en laisse. Ça piaffe et l’énergie gronde sous le boisseau.
La même année paraît Renaissance. Ils portent toujours leurs costumes cravates. Le problème avec ces mecs-là, c’est qu’il faudrait entrer dans la liste du personnel pour savoir qui fait quoi, comme on le faisait avec les Beatles. La difficulté, c’est qu’ils sont six et qu’ils la ramènent tous, que ce soit au chant ou avec les compos : Gary Alexander, comme on l’a vu, Jim Yester (guitar), Russ Giguere (guitar), Brian Cole (bass), Ted Bluechel (drums) et Terry Kirkman (tambourin). Pas de figure proéminente chez eux. Ils obéissent à un principe démocratique. On entend donc Russ Giguere bramer à la lune dans «I’m The One» et Jim Yester chanter sa pop dans «Memories Of You». Ah ils savent créer des ambiances charmantes, on peut le dire ! Les harmonies vocales scintillent dans l’azur immaculé à sec. Gary Alexander se fend d’un vaillant «Pandora’s Golden Heebie Jeebies», une sorte de psych-folk délicat. Le timbre de Gary correspond plus à l’idée qu’on se fait d’un grand popster américain. En comparaison, la voix de Terry Kirkman qu’on entend dans «Angeline» passe beaucoup moins bien. Trop grave et trop square. Ted Bluechel chante son «Songs In The Wind». La démocratie conduit parfois à des impasses. Gary Alexander sauve la B avec «Looking Glass», une pop aux reins puissants, d’autant que Ted Bluechel la bat comme plâtre. Jim Yester chante son «No Fair At All». En fait, l’Association suit le modèle des Beatles : ils se bricolent de jolies mélodies et les enrichissent au cousu d’or. C’est à Russ Giguere que revient la mission de boucler le dossier avec «Another Time Another Place», une belle giclée de pop signée Gary Alexander.
L’Alexander quitte le groupe début 67 pour aller étudier la mystique aux Indes. Il ne reviendra qu’en 68, transformé en Jules Alexander. C’est un certain Larry Ramos qui le remplace sur Insight Out, le troisième album du groupe. Nous n’irons pas par quatre chemins : l’album est extraordinairement mou du genou. On les voit faire de la pop très démonstrative, et ça ne pardonne pas. La petite pop gentillette de «When Love Comes To Me» refuse obstinément de décoller. Une sorte de flûte se promène dans les roseaux comme une libellule. On entend Brian Cole chanter «Reputation», une sorte de jerk finement souligné à l’harmo. Il semble qu’avec le départ de Jules, le groupe ait perdu son edge. Russ Giguere chante vraiment comme une brêle («Sometime») et Johnny Sitar fait son petit numéro dans «Waitin’ And Gettin’». Mais le pire est à venir : «Requiem For The Masses» : cette fois, c’est Terry Kirkman qui fait sa brêle. L’absence de Jules fait des ravages.
Par contre, Birthday sonne comme un album classique. Belle pochette psyché, en tous les cas. C’est Larry Ramos, la nouvelle recrue, qui ramène du son, comme on le constate à l’écoute de «Like Always». On sent chez lui le rocker à l’Américaine, un peu cassant, élégant et buriné. Le cut se montre assez digne des Beach Boys. Avec «Everything That Touches You», ils s’enfoncent dans une belle pop chaleureuse, très soignée, et même assez majestueuse. C’est ultra-chanté et soutenu aux belles harmonies psychédéliques. On finit par se faire avoir. «Time For Livin’» sonne vraiment comme un hit. Larry Ramos ramène du jus dans cette pop qui ne demande qu’à jaillir dans l’azur marmoréen. On peut parler ici de grande pop active et scintillante. On trouve aussi des échos de Moby Grape dans «Hear In Here». Grâce à de tels exploits, l’album finit par se hisser au rang de classique. Encore un joli bouquet d’influences dans «The Bus Song», mais le style Association prédomine. Ils tiennent leur pop par la barbichette, cette grande pop souriante, coloriée et pleine de vie.
Retour de Jules pour The Association, un album plus expérimental, qui sera aussi le dernier pour Russ Giguere. Mais cet album considéré comme un classique n’est pas à la hauteur de sa réputation. On y bâille. Ça pue la pop bon chic bon genre. Quand on arrive au milieu du balda avec «The Nest», la messe est dite : c’est trop mal chanté. Dommage, car les harmonies vocales valent le détour. Et puis soudain, ça se met en route, on ne sait pas pourquoi. On ne le saura jamais. Larry Ramos sauve le balda avec «Are You Ready». Il est beaucoup plus rocky roady que les autres, il va chercher des accents fins et d’une belle élégance. C’est en B que Jules Alexander ramène son «Dubuque Bues», mais curieusement, le cut ne sonne pas aussi bien que la version remastérisée qu’on trouve sur la compile de singles. Les vinyles ont parfois leurs limites. Et la diversité des registres vocaux présente aussi des avantages et des inconvénients. Une bonne moitié des cuts de cet album sont atrocement mal chantés. Avec «Goodbye Forever», Jules cherche de toute évidence à rejoindre l’univers de Pet Sounds, mais ça reste très pop, très associatif. Pour Jim Yester, 50 ans plus tard, cet album qu’il appelle le Stonehenge album reste son préféré. C’est avec cet album qu’ils espéraient échapper aux griffes du pop market. Mission accomplie. Ils ont même échappé à toutes les griffes. Il fallait vraiment adorer le groupe pour aller acheter cet album.
Les passages à vide ont toujours une explication. En 1969, les membres du groupe se disaient complètement rincés par les tournées. Leurs vies privées en subissaient aussi les conséquences. Comme beaucoup de groupes dans le même cas, ils réclamaient une année sabbatique pour tout remettre en ordre, leur santé et leur vie privée, mais personne ne voulait financer ça - We desperatley needed a solid well-paid year off to recharge everything. But that was never going to happen - C’est là que généralement les groupes commencent à se démanteler et tombent en panne d’inspiration.
Warner sort alors un double Live du groupe pour faire patienter le public. On y retrouve tous les grands hits du groupe, mais cette pop bien propre sur elle ne prend pas en public les proportions espérées. On devait forcément s’ennuyer lorsqu’on allait les voir jouer sur scène. Encore une fois, the Association est un groupe à singles. Alors, si on prend le temps d’écouter cet album interminable, c’est surtout pour Jules. Il faut l’entendre swinguer ses octaves dans «Goodbye Forever» et tarabiscoter son jus à outrance. Par contre, «Dubuque Blues» est chanté à la force du poignet, et on perd tout le jus de Jules. Les grands moments de ce double album sont «What Were The Words», folk-rock de rêve chanté à la pointe de l’harmonie, et l’«Are You Ready» de Larry Ramos, fabuleux shoot de pop américaine. Leurs versions d’«Along Comes Mary», de «One Too Many Mornings» et de «Goodbye Columbus» valent aussi le détour, car on retrouve cette pop alerte et crémeuse qui les distingue si bien. Ils tapent «Let’s Get Together» dans l’esprit de l’Airplane, mais pour le reste, on s’ennuie.
Retour du groupe en force avec Stop Your Motor en 1971. On les voit tous les sept groupés sur un escalier. Ils portent tous des jeans, des moustaches et les cheveux mi-longs. Les voilà enfin en osmose avec leur époque. Ils démarrent l’album avec un «Bring Yourself Home» bien dans l’esprit des Beach Boys, mais avec quelque chose d’associatif dans le contexte du cortex. Pas de hits sur cet album, mais des coups intéressants, comme la reprise du «PF Sloan» de Jimmy Webb. Ça leur va comme un gant. Mais la version de Jimmy Webb est beaucoup plus joyeuse, plus enlevée. La pop associative paraît parfois frigide. Larry Ramos attaque la B avec «It’s Gotta Be Real» et on comprend que ce groupe soit resté en série B. Ils ne parviennent pas à aligner les hits espérés par le petit peuple. Car enfin, si on va choper leurs albums, c’est bien en quête de hits, non ? Ils battent tous les records du ridicule avec «Along The Way» : diction insupportable, chat perché mélancolique avec du goobâille à la clé. Ils proposent parfois une musique à leur image : manque dramatique de sex-appeal.
En 1972, Brian Cole casse sa pipe en bois : drug overdose. Mais apparemment, il a eu le temps d’enregistrer Waterbeds In Trinitad qui est probablement leur meilleur album. Et ce pour trois raisons, à commencer par «Midnight Wind», fantastique shoot de pop emmenée aux harmonies vocales, pur jus de Jules qui adore le ride ride ride. très haut niveau associatif. Deuxième hit avec «Kicking The Gong Around». Que de son, my son ! Voilà qu’ils allument leur balda. Jules nous fait le coup du shuffle. Ici, tout sonne densément et clairement à la fois, avec des échos de Beach Boys bienvenus et très convaincants. En B, ils tapent le «Snow Queen» de Carole King et Gerry Goffin. La pop du Brill leur va comme un gant. On retrouve leur joli bouquet d’harmonies vocales, une exubérance à la Fantin-Latour, son de rêve, softy et aérien, silky et satiné. Autre chose ? Oui, une reprise du «Darling Be Home Soon» de John Sebastian. Ils évoluent vers une sorte de perfection harmonique. Ça devient passionnant, d’autant que le son est plein comme un œuf. Ils ont enfin une prod de rêve. On les voit ravis au dos de la pochette. Ils grelottent mais ils rayonnent, surtout Jules, le plus petit de la bande des sept.
N’allez surtout pas rapatrier cette horrible mascarade qu’est New Memories. Ce qui reste de l’Association s’attaque à des tubes du genre «Love Me Tender» et «The Dock Of The Bay». C’est insupportable. Ils font même intervenir Bobby Vee et Mike Love. S’il existait un hit-parade des arnaques, cet album trônerait en tête de classement. Ils sont capables du meilleur comme du pire.
Par contre, A Little Bit More paru en 1995 sonne comme un passage obligé, pour deux raisons précises : une fantastique reprise de «Walk Away Renee» de Left Banke, et le morceau titre qui vaut à lui seul tout l’or du mondo bizarro. La reprise de Renee est orchestrée à gogo et bien sûr bardée d’harmonies vocales extravagantes. Mais c’est avec «A Little Bit More» que ces vétérans passent le Rubicon. La magie opère dès les premières mesures - When your body had enough of me/ And I’m lying flat on the floor/ You think I’ve loved all I can/ I’m gonna love you a little bit more - Il envisage tout simplement de remettre le couvert, pour parler vulgairement. Avec «Nature», ils passent au Brazil mystérieux et tendu. On a là du très grand art, chapeauté d’harmonies considérables. On pourrait dire la même chose de «Perfect Gift». C’est là où les Assos éclatent au firmament de la Sunshine pop. Tout est chanté à l’outrance du pur jus. Tiens, tu as encore «Forever» à te mettre sous la dent. Les ressources des Assos sont insondables. En 1995, il restait encore un groupe comme les Assos pour honorer la pop de manière princière. C’est tout simplement écœurant de classe. Ils terminent avec «The One» dans une extraordinaire envolée. Ils savent se montrer élégants jusqu’au bout du bout et se fondent à coups d’ah yeah dans les adieux firmamentaux. N’oublions pas de signaler la reprise du «Could It Be Love» de Randy Sharp. Ils y traitent d’égal à égal avec les Beach Boys. On les voit aussi traiter la pop comme une reine dans «How Much Love». Ils s’y montrent exceptionnels de mansuétude. Et même si «Learn Them To Land» sonne un brin diskoïdal, ce cut reste bon comme le pain chaud du petit matin.
On retrouve tous les hauts faits associatifs dans The Complete Warner Bros. & Valiant Singles Collection. Pour les amateurs de très belle pop, c’est une sorte de passage obligé. Le premier disk propose tous les singles Valiant et ça démarre sur l’infernal «One Too Many Mornings». On pense aux Beach Boys, bien sûr, mais c’est d’abord un son qui leur est propre, chaleureux et puissant, divin et ravageur. Ils jouent la pop de Dieu. S’ensuit l’aussi énorme «Forty Times», joué à l’énergie de la sunshine pop, pas loin des Monkees, mais avec quelque chose en plus. Tout est tellement puissant dans l’esprit associatif ! Ils glissent la pop de «Cherish» sous le boisseau d’argent du temple d’Isis. Chez eux, tout est saturé de sunshine et amplement drapé d’or, ils n’en finissent plus de grimper dans les couches d’ozone de la beauté pure. Peu de groupes ont su mener des chœurs avec un tel brio. «Everything That Touches You» sonne comme la pop du futur, rien que par l’ampleur de son ouverture. Et avec «Time For Living», ils se montrent dignes des Beach Boys. C’est l’un de leurs plus grands hits. On y entend même des échos des Beatles. Il faut rappeler que Brian Wilson adorait le premier album de l’Association. Joli cut aussi que ce «Pandora’s Golden Heebie Jeebies» : Jules s’intéresse à la mad psyché. L’époque veut ça. Et ça continue avec «Standing Still». On entre dans la psyché californienne, mais avec du panache. Encore un fabuleux shoot de pop magique avec «Looking Glass». À l’époque, Jules compose comme un forcené. Il croit dur comme fer en la beauté de la pop et des arrangements multi-directionnels. La pop de «Windy» rayonne aussi sur le Mordor, sunshine à souhait. Elle ressemble à une forteresse imprenable. Le disk 2 propose les singles Warner Bros. Et dès «Like Always», ça explose, on croirait entendre les Beach Boys. Cette pop toxique patauge littéralement dans l’excellence, oh here she goes. Ils font un festin de chœurs dans «Goodbye Columbus», on peut même parler ici d’explosion de chœurs définitifs, et avec «Under Branches», ils renouent avec le génie pop psychédélique to fall upside down. Jules Alexander s’y prélasse. On a là une incroyable merveille alexanderienne, digne de Brian Wilson, aérienne et colorée, tout est chanté à l’outrance de l’ouate psyché. Encore un fabuleux shoot de pop avec «Dubuque Blues». Avec Jules, les choses flirtent en permanence avec le génie. Il réussit l’exploit de transformer la musique en éclat du jour, do you remember, il y mélange le folk joyeux et la pop somptueuse. La pop d’«Are Your Ready» est tellement brillante qu’elle sonne presque comme de la Soul. «Just About The Same» propose une invraisemblable profusion de chœurs d’artichauts. On pourrait presque qualifier «Bring Yourself Home» de pop de rêve humide, et dans «Makes Me Cry», Jules Alexander se montre une fois de plus digne de Brian Wilson. Oh, il reste des tas de merveilles à savourer, comme par exemple «Yes I Will», qui se termine comme un hit des Beach Boys, ou encore «Along The Way», terriblement affiné, chanté au filet de voix dans l’azur prométhéen, et qui s’étend à l’infini. Ils reprennent le merveilleux «PF Sloan» de Jimmy Webb, comme si la légende faisait de l’œil à la légende. Cette compile est un véritable double concentré de génie pop. L’île déserte l’accueille à bras ouverts.
Le groupe existe paraît-il encore, grâce aux survivors Jules et Jim. Del, le frère de Larry Ramos mort en 2014, les accompagne.
Signé : Cazengler, association à bite non lucrative
Association. And The Along Comes The Association. Valiant Records 1966
Association. Renaissance. Valiant Records 1966
Association. Insight Out. Warner Bros. Records 1967
Association. Birthday. Warner Bros. Records 1968
Association. The Association. Warner Bros. Records 1969
Association. Live. Warner Bros. Records 1970
Association. Stop Your Motor. Warner Bros. Records 1971
Association. Waterbeds In Trinitad. Columbia 1972
Association. New Memories. Realistic 1983
Association. A Little Bit More. On Track Records 1995
Association. The Complete Warner Bros. & Valiant Singles Collection. Now Sounds 2012
David Pearson : Roots And Branches. Shindig # 78 - April 2018
Ride Sally Ride
Quand Paul Ritchie brosse le portrait sonique de Ride, il parle de «feeback-drenchend ethereal dream pop». Il nous revoie directement avec ses six pages sur Ride sur l’époque des guitar bands. Ces quatre kids d’Oxford ont en effet bien cassé la baraque dans les années 90, il y a de cela trente ans. Il faut en effet se souvenir que les petits Ride étaient devenus les darlings de la weekly music press et les poster boys de l’indie music scene. Comme ça au moins les choses sont claires.
Le duo Mark Gardener et Andy Bell mène alors la petite meute. Ils écoutent tout ce qui bouge à l’époque, les Cocteau Twins, Loop, Spacemen 3, mais aussi les Smiths et les Bunnymen. Ils commencent à jouer et à tourner. C’est l’époque où les Mary Chain, My Bloody Valentine et House Of Love marchent bien. Puis Alan McGee les repère. Il leur offre la liberté totale, même celle de concevoir leurs pochettes. Les petits Ride optent pour le mystère, pas de photos du groupe sur les EPs. Banco ! White noise !
Démarrage en force avec une série de quatre EPs, objets magnifiques, sur lesquels on s’est tous précipités. Le premier n’avait pas de titre, on l’appelait le Ride EP. Pochette de rose rouge et tout de suite un wall of sound avec «Chelsea Girl», et sa belle pulsation, sa puissance inexorable, les petits Ride avaient du talent et le batteur avait tout du fou dangereux. Le hit des petits Ride c’est bien sûr «Drive Blind», une belle dégelée de power chords qui se désintègre dans une avalanche de white noise, un cut qu’on adorait à la folie, un vrai hit rock à l’Anglaise. En B, il y avait encore du son et un peu de psychedelia dans «All I Can See». Ils revenaient enfin à leur paraphernalia psychédélique en saturant à l’extrême «Close My Eyes». Andy Bell pense que l’EP est leur meilleur format.
Ils couvraient la pochette du Play EP de roses jaunes et sonnaient exactement comme les Fannies dans «Like A Daydream». Ils revenaient à leur son pour «Silver», une heavy psychedelia repentie et pleine d’énergie hazy. En B, ils s’en allaient bombarder dans les layers de «Furthest Sense» avec cette fantastique énergie qui les caractérisait si bien. Ils avaient tout l’avenir devant eux.
Avec le Fall EP, on notait une petite baisse de tension, même si «Dreams Burn Down» sonnait comme une épaisse giclée de revienzy. Ils savaient monter un mur du son et jouer une heavy psychedelia anglaise de haut vol. Mais on sent bien que c’est l’EP et le power de Creation qui font la beauté du geste. Après, ils viraient plus pop et on passait à travers. Et puis autant le dire franchement : si on ramassait cet EP à l’époque, c’était surtout pour les pingouins.
Sur la pochette du Today Forever EP, on avait une espèce requin et les petits Ride perdaient tout l’élan de Drive Blind. Adios élan, bon vent !
Comme Creation faisait avant toute chose du business, on vit apparaître à la même époque l’album Nowhere qui rassemblait quelques bribes d’EPs, notamment «Dreams Burn Down» et ses stridences qui se noient dans un mur du son, cut assez habile et inspiré, ils pouvaient poser le chant sur cet infiniment loin perdu dans la noise. On retrouvait le mur du son dès «Seagull», tout était saturé de basse et de guitares. Avec «Kaleidoscope», tu n’apprenais rien de plus que ce que tu savais déjà. Il était inutile d’attendre une surprise. Les petits Ride étaient bien gentils, mais les surprises n’était pas leur spécialité. Dans «Decay», la mollesse du chant laissait une impression désagréable, malgré la force des textures. Et puis tu avais «Vapour Trail» presque un hit pop avec cette voix qu’on n’aimait pas. C’était toute la différence avec les grandes voix qu’on avait dans Adorable ou Suede. Alan McGee affirme que «Vapour Trail» is one of his favorite songs ever.
Paru en 1990, Smile est une compile d’EPs. On y retrouve le gorgeous «Chelsea Girl», belle dégelée de descente d’accords, c’est cuivré de frais, ils relancent à tours de bras, les petits Ride sont invincibles en ce soir de printemps. Tu ne les battras pas à la course. On retrouve aussi l’excellent «Drive Blind», encore une descente de big heavy Ride. «Silver» leur permet de renouer avec la violente torpeur de «Drive Blind». Ils adorent couler un bronze et s’y rouler. Encore un beau boisseau de son avec «Furthest Sense», c’est explosé de sustain et il pleut encore du son dans «Perfect Time». Ça joue dans tous les coins du spectre, on a du jus de guitare à profusion, ça résonne dans l’écho du temps. Tout chez l’early Ride est propulsé aux power-chords, et monté en croupe de wild solos. Ils terminent avec un «Close My Eyes» plombé aux accords de plomb, avec une ramasse de chant à la surface, pareille à la serpillière oubliée dans la cage d’escalier par la concierge portugaise.
Après une première tournée mondiale, ils enregistrent Going Blank Again en 1992 et l’attaquent avec «Leave Them All Behind» et toutes ces guitares qui se répandent dans l’air comme des parfums toxiques. Ils sont vraiment enracinés dans cet esprit de belle efficacité terrifique, ça t’enrobe bien la cervelle. Mais tu restes sur tes gardes à cause du chant trop typé. Ça n’empêche qu’ils sont aux commandes d’un bolide qui fonce dans le mur du son. C’est un choix de société. Finalement, Ride reste un groupe inclassable. Puissant mais inclassable. Ils sont aussi capables de belles apothéoses. «Twisterella» est plus poppy, ils sont frais comme des gardons, mais des gardons dont les écailles s’éclatent au Sénégal. Tu as intérêt à prendre ces mecs au sérieux. Ils attaquent «Mouse Trap» dans les clameurs de la victoire, ils cherchent à prendre la ville avec des power chords pulvérisateurs, c’est exactement ce qu’ils font, ils pulvérisent les murailles à la mitraille, ils arrosent tout ce qu’ils peuvent, ils en deviendraient presque grotesques. Ils amènent «Cool Your Boots» à la belle disto, ce mec chante la bouche ouverte, c’est une manie, tout est réglé sur le mode anglais, avec une grosse énergie du son, ils ramènent du son à la pelle et visent les profondeurs de la pensée psychédélique. «Making Judy Smile» est aussi très puissant, c’est de la big British pop, c’est dingue comme ces petits mecs savent se fondre dans la crème anglaise. L’album se révèle au final assez fascinant, plein d’aventures, thank you for the ride. Ils amènent «OX4» avec une pluie d’orage et le cut s’ouvre sur le monde. Ils sont capables de puissance invétérée, alors ils y vont franchement.
Et comme c’est arrivé dans l’histoire de tous les groupes, les petits Ride subissent des pressions horribles. Au lieu de s’accorder un break après une tournée mondiale exténuante à tous points de vue, on les envoie en studio pour l’album suivant. En 1994 arrive Oasis qui balaye tout. Les petits Ride changent de son et deviennent plus psyché avec Carnival Of Light. Paul Ritchie compare l’album à l’Untitled des Byrds et au Let It Bleed des Stones. Il va même plus loin en affirmant que Carnival Of Light est le plus Shindig!-friendly of all Ride albums. Les petits Ride portent des pantalons à rayures, des chemises à jabots et manteaux de fourrure. Ils se sentent over-confident. Andy Bell : «We could be Led Zeppelin or the Jayhawks or The Black Crowes.» Bon, ils exagèrent un peu, l’album n’est pas du niveau de Let It Bleed. On y sauve trois cuts, à commencer par «1000 Miles», gratté au petit jingle jangle californien. Cut étrange et séraphique, il faut bien l’avouer, c’est vrai que sur ce coup-là, ils sonnent comme les Byrds. L’autre point fort de l’album est la cover du «How Does It Feel To Feel» des Creation. Ils tapent dedans avec un «freakbeat punch». Bienvenue en Angleterre ! C’est parque qu’ils tapent dans les Creation qu’ils sont bons. Les petits Ride coulent enfin de source. Autre bonne surprise : «Magical Spring», qui finit par s’imposer à coups de clameurs de voix et de guitares. Il faut bien dire que leurs compos ont un mal fou à s’imposer. Disons qu’ils sont honnêtes. «From Time To Time» sonne comme de l’entre-deux eaux, très axé sur les axes, ils font de la bonne augure à la sauce américaine, on sent qu’ils ont bien dégrossis. Ils amènent leur «Birdman» à la manière forte, avec de grosses dégelées d’accords et montent vite sur leurs grands chevaux. Ils savent déborder sur l’horaire. Mais ils se croient parfois autorisés à chanter sans voix («Crown of Creation») ce qui leur porte préjudice.
Comme tous les autres groupes anglais, ils sont submergés par Oasis. Ils vont cependant enregistrer l’album du breaking up, Tarentula. Andy propose d’enregistrer vite fait, mais dit-il «the vibe wasn’t there». Steve indique que ça manquait d’un «bit of heart and soul». McGee et Creation consacrent tout leur temps à Oasis, alors les petits Ride passent un peu à l’as. C’est Andy Bell qui compose quasiment tout sur Tarentula, il est dans un heavy trip Creation/Small Faces/Nazz. Si on en croit les conneries qu’ils racontent dans Shindig!, Tarentula est un album raté. C’est tout le contraire. Il s’agit probablement là de leur meilleur album. Eh oui, huit bombes sur douze titres, c’est largement au-dessus de la moyenne. Ça sonne d’entrée de jeu, dès «Black Nite Crash», les guitares sont de sortie, les petits Ride ont décidé de rocker la vieille Angleterre. Shake your jewellry !, comme dirait John Lennon. La fête continue avec «Shunshine/Nowhere To Run», c’est excellent, bien gluant de son et inspiré par les trous de nez. On se croirait sur le White Album !, le groove est juste, parfaitement digne de John Lennon, les vibes sont saines et d’une incroyable véracité véracitaire, c’est heavily Beatlemaniaque, un vrai cosmos. S’ensuit un «Dead Man» qui flirte aussi avec le génie, c’est une merveille de psychout à l’anglaise. Tu entres ici dans le territoire de la grande pop psychédélique anglaise, les petits Ride dépassent toutes les attentes, les voix se fondent dans le son comme au temps de «19th Nervous Breakdown», c’est un véritable tour de magie psyché, avec un solo de wah à la clé. Ils refoutent le paquet sur «Walk On Water», tu n’en crois pas tes oreilles. C’est bardé du meilleur son d’Angleterre : Creation/Small Faces, sans les voix, bien sûr. Ils s’amusent à jouer au petit jeu du balladif avec «Mary Anne», ils tapent ça à leur manière et Andy Bell passe un solo mirobolant. Rock’n’roll star ! Il joue de la guitare jusqu’à la dernière goutte de Supersession. On plonge à nouveau dans le délicieux enfer du son avec «Gonna Be Alright». Fantastique ! Ils gorgent leur son de heavy trash, ils deviennent de puissants seigneurs d’Angleterre, ils développent à l’Anglaise, everything’s gonna be alright, c’est sûr, et la wah dévore le cœur du cut. Andy Bell fait encore des ravages sur «Burnin’». Il joue en heavy burnin’ out. Burn baby burn.
Ils splittent à la sortie de Tarentula et se reforment en 2001. Puis en 2017, ils enregistrent un nouvel album, Weather Diaries. L’amateur de mad psychedelia va se régaler d’«Here’s A Feeling», car oui, ça fond dans le beurre du groove, ils renouent avec les vibrations de «Drive Blind» et des psychedelic shades, ça s’accumule comme des nuages dans un ciel mauve, ça se profile dans la ouate, ça évolue énormément. Ils nous font aussi le coup de grands vents sidéraux dans «Cali», ils misent beaucoup sur les effets de son, c’est frais et bon enfant, avec une belle profondeur de champ et un balancement suprême. Les effets surnaturels sont un excellent succès. Ils repartent en mode heavy groove avec «Impermanence». Ils jouent encore une fois sur les effets, ils cultivent leur vieux shoegaze, avec des guitare contemplatives aux frontières de la mad psychedelia. Car c’est bien de cela dont il s’agit. On passe toujours un bon moment en compagnie des petits Ride. Même si parfois, ils se vautrent, comme avec «Lannoy Point» ou encore «Charm Assault» qui retombent dans l’épouvantable ornière de la Britpop. Le petit gang d’Oxford repart avec «White Sands», ils emmènent avec eux tous les objets de leurs fascinations, c’est très potache et très sérieux en même temps, très over the overland, le son cherche ses mots dans le titubage expérimental. La morale de l’histoire est qu’il faut toujours plonger sa cuillère dans le bon potache, c’est une question de santé mentale et le diable sait si la santé mentale n’est pas de ce monde.
Les petits Ride repartent de plus belle en 2019 avec This Is Not A Safe Place. Encore un bel album à leur actif, avec un «Ride» d’ouverture de bal qui sonne comme une revanche contre ceux qui les prenaient pour des branleurs. Ils ramènent vraiment tout le son qu’ils peuvent ramener avec leurs petits bras. Ils lancent «Kill Switch» au beat de Ride et c’est la porte ouverte à tous les excès, ça touille dans la disto, it’s a kill switch, tu tombes en plein dans le killer killy switch, avec un chant qui plane dans la chaleur de la nuit. Ils amènent «Eternal Recurrence» aux heavy chords et là tu plonges dans leurs bras. C’est du rêve, du rêve d’Eternal. Fabuleux groove des petits Ride. Dernier coup de Jarnac avec «End Game», ils repartent en mode petite pop, mais avec une sorte de maîtrise de l’expertise - That’s the way it got to be - Cette pop évolutive te mange le coton sur le dos et ça prolifère dans une sorte d’élévation du son jusqu’au seuil des apothéoses. Les petits Ride finissent par devenir fascinants. «Clouds Of Sainte Marie» est presque réconfortant, c’est un cut qui te lèche les plaies. Ils ont un «Jump Set» qui sonne comme de l’Echo & The Bunnymen, pas très glorieux, et ils terminent avec «In The Room» chanté à l’innocence d’Oxford. C’est leur force et on les admire d’avoir duré aussi longtemps à ce niveau d’excellence.
Signé : Cazengler, Ridé
Ride. Ride EP. Creation Records 1989
Ride. Play EP. Creation Records 1990
Ride. Fall EP. Creation Records 1990
Ride. Today Forever EP. Creation Records 1991
Ride. Nowhere. Creation Records 1990
Ride. Smile Creation Records 1990
Ride. Going Blank Again. Creation Records 1992
Ride. Carnival Of Light. Creation Records 1994
Ride. Tarentula. Creation Records 1996
Ride. Weather Diaries. Wichita 2017
Ride. This Is Not A Safe Place. Wichita 2019
Paul Ritchie : Daydream Believers. Shindig! # 127 - May 2022
Wizards & True Stars - Burt au grand pied
En cassant sa vieille pipe en bois, Burt Bacharach referme un chapitre glorieux de l’histoire culturelle contemporaine, le chapitre de la grande pop ambiancière, qu’on qualifie parfois à tort d’easy listening. Il vaut mieux parler de magie. Burt évoluait dans le même monde qu’Arthur Lee, Jimmy Webb, Curt Boettcher, Totor ou encore Brian Wilson, le monde des chansons parfaites.
Comme dans toutes les grandes œuvres d’art, il y a dans certaines compos de Burt quelque chose d’intemporel, il sait fondre une trompette dans la Bossa et emmener des violons loin sous l’horizon. Tu cherches la mélodie du bonheur ? Tu la trouves dans «This Guy’s In Love With You» qui devient «This Girl’s In Love With You» dans les pattes d’Aretha et de Dusty chérie. Tu as encore du big event avec «The Look Of Love», toujours croqué à belles dents par Dusty chérie, mais aussi Dionne la lionne, on s’en soûlerait jusqu’à la fin des temps. L’autre grande interprète de Burt, c’est bien sûr Jackie DeShannon qui tape dans le jive magique de «What The World Needs Now Is Love», la belle Jackie te chaloupe ça des hanches, elle a raison, the world needs love. Encore un fil mélodique demented avec «(They Long To Be) Close To You», porté par une trompette en rut modérateur et puis tu as cette profondeur de champ mélodique qui n’existe que chez Totor ou Jimmy Webb, ce sens aigu des orchestrations leveuses de frissons. Dusty chérie l’emmène là-haut, jusque dans l’imparabilité des choses, elle monte là où l’air est pur, elle recherche le niveau de perfection absolue. Cilla Black le fracasse elle aussi. Dans la version qu’en fait Dionne la lionne, on assiste à une extraordinaire explosion mélodique. Burt attaque toujours par en bas, puis il fait monter la sauce pour que ça aille gicler au sommet du lard. Alors Dionne se coule au cœur du vif argent, elle brille de tous ses feux. Elle se prélasse dans le confort de Burt, le géant d’Amérique. Ce sont chaque fois des chansons qui semblent t’emmener vers ton destin. Tu peux difficilement leur résister.
L’idéal est d’aller sur les albums des grandes interprètes de Burt : définitivement Dusty ... Definitely, tout Dionne la lionne, et principalement Anyone Who Had A Heart, l’atrocement bon This Is Jackie De Shannon, et bien sûr l’Image de Cilla Black. Si on passe directement par Burt, on tombe généralement sur des albums d’instros, comme cette belle compile A&M parue en 1971, Portrait In Music. Belle parce que Burt est beau, cadré serré sur la pochette. C’est un album bercé par les alizés qui restitue bien l’idée des thèmes bachariens, jamais très éloignés de la Bossa Nova, bercés par le doux balancement du beat tropical et bien graissés aux trompettes d’Herp. Cette compile permet aussi d’explorer l’autre facette de Burt, le mid-sixties ambiancier de chabadabadah, robe Cardin au Quartier Latin, Swingle Singers, exubérance tempérée à la Michel Legrand, c’est une vraie machine à remonter le temps. L’«I Say A Little Prayer» est le prototype du mid-sixties ambiancier d’anticipation rehaussé d’un thème mélodique en robe Courrèges. «Raindrops Keep Falling On My Head» reste l’air joyeux par excellence, lié au souvenir enchanté de Butch Cassidy & Sundance Kid. Et puis avec «Do You Know The Way To San Jose», tu te retrouves au Carrefour de Bucci en mini-jupe avec du rouge à lèvres et des faux cils.
L’autre belle entrée chez Burt est une compile Ace parue en 2008, Always Something There (A Burt Bacharach Collectors’ Anthology 1952-1969). Curieusement, Mick Patrick fait le choix de puiser dans les hits plus obscurs de Burt. Premier exemple avec «So Long Johnny» par Jackie DeShannon. Elle y va les cuisses ouvertes, elle donne à Burt tout ce qu’elle a, elle te ouate le Burt dans l’auréole de son génie. Dans son commentaire, Mick Patrick indique que Dionne Warwick, Gene Pitney et Timi Yuro avaient fait la grosse connerie de rejeter «So Long Johnny». On le retrouve plus loin, le Pitney, avec «If I Never Get To Love You». Ah comme il est piteux ! Même chose pour Trini Lopez («Made In Paris») et Del Shannon qui avec «I Wake Up Crying» bat tous les records de nullité. Insupportable ! À moitié con. Tous des petits culs blancs. Adam Wade, c’est pareil, aucun d’eux ne passe, c’est drôle que Burt soit passé par des interprètes aussi falots. Bobby Vee passe un peu mieux avec «That’s The Way I’ll Come To You». Ce beautiful black singer d’Arkansas qu’est Dee Clark accroche «You’re Telling Our Secrets» au mur comme un trophée de chasse. Ben E King s’en sort lui aussi avec les honneurs sur «They Don’t Give Medals To Yesterday’s Heroes». Il a tout le gusto qu’il faut pour driver son Burt, c’est un Ben extrêmement intense, et la prod explose littéralement. Brook Benton reste bien le chanteur du temps d’avant, il craque le code de Burt avec «More Time To Be With You». On passe par le ventre mou de l’Amérique avec Doris Day, Della Reese et Marty Robbins qui font de la variété sucrée. La bonne surprise de la compile est le «That’s Not The Answer» par Vi Velasco, une blanche qui était sur Vee-Jay, elle fait du wild Burt sound lâché dans la nature, tu sens la prise sur tes hanches, on comprend qu’elle soit devenue culte chez les fans de Northern Soul. Aucune envie de s’appesantir ni sur Frankie Avalon («Gotta Get A Girl»), ni sur Cathy Carr («Wild Honey»), par contre, Mick Patrick a pensé à Damie Chad en intégrant le «Crazy Times» de Gene Vincent, morceau titre du Capitol paru en 1960. Ah il faut le savoir que c’est du Burt ! Gene s’en sort avec les honneurs. Autre superstar : Dionne Warwick, avec «Dream Sweet Dream». Comme Gene, elle dégage, elle emmène son Burt par-dessus les toits. On n’en attendait pas moins d’elle. Mais le vrai héros de cette compile est Lou Johnson, qui en plus fait l’ouverture de bal avec «(There’s) Always Something There To Remind Me». Lou Johnson te shoote de la Soul dans Burt, il te scarifie le visage du langage, il est le roi du woo-woo-woo, il chante à l’accent de panther on the run et au moment opportun, l’orchestre monte d’un cran, alors Lou bondit. Mick Patrick nous rappelle qu’entre 1962 et 1964, «Lou Johnson established himself as one of the greatest interpreters of Burt Bacharach’s and Hal David’s complex numbers.» En fait, Burt demandait à Lou de chanter ses démos. Dionne et les autres grandes interprètes se taperont la part du lion commercial. C’est Sandie Shaw qui va décrocher le pompon avec «(There’s) Always Something There To Remind Me». Pour Lou : tintin.
L’entrée principale dans le monde de Burt reste bien sûr l’autobio, Anyone Who had A Heart - My Life And Music, un book paru en 2013. C’est un livre ouvert, car Dionne la lionne, Angie Dickinson et d’autres participent. Burt semblait prédestiné à une carrière légendaire, car il eut comme professeur de piano et de composition Darius Milhaud qui était à cette époque installé à Los Angeles. Comme chacun sait, Darius Milhaud fit partie du légendaire Groupe des Six, avec Arthur Honegger, Francis Poulenc, et Germaine Tailleferre. Burt compose une sonatine en trois mouvements et la joue pour Milhaud qui le félicite et qui lui dit ceci : «N’ayez jamais honte de composer une mélodie que vous pouvez siffler.» Burt dit qu’il n’a jamais oublié ce conseil. Et comme Milhaud adorait emmener ses élèves le samedi soir dans un funky restaurant mexicain, il apprit aussi à Burt l’art de manger les tacos. Jeune, Burt se passionne pour Arnold Schönberg et Alban Berg.
Et comme tous les compositeurs de sa génération, Burt se retrouve dans un petit bureau du 1619 Broadway, c’est-à-dire au Brill. Il rappelle que les bureaux étaient minuscules, juste de quoi contenir un bureau et un piano droit, la clim ne marchait pas et la fenêtre était bloquée. De l’autre côté de l’avenue, au 1650 Broadway, se trouvent tous les poulains de Donnie Kirshner : Carole King & Jerry Goffin, Barry Mann & Cynthia Weil, Jeff Barry & Ellie Greenwich. Burt entend un jour Bill Haley à la radio et nous dit que ça ne lui plaît pas. Pourquoi ? - Ces chansons étaient basées sur trois accords, Do, Fa et Sol. S’ils avaient utilisé un Do septième, ça aurait été beaucoup plus intéressant, mais le Do majeur just seemed so vanilla to me.
Puis Burt entre dans la légende en devenant le pianiste et chef d’orchestre de Marlene Dietrich. Il rapporte un étrange incident : un soir, à Vegas, après le concert, ils boivent un peu trop et Burt raccompagne Marlene à sa chambre. Elle essaye de l’embrasser et lui demande d’entrer, mais Burt refuse poliment - Je savais à l’époque que je n’aurais pas pu conduire l’orchestre d’une femme avec laquelle j’avais couché. Je ne voulais vraiment pas coucher avec elle. It would have been like falling in love with fire - Quand ils sont en tournée en Amérique du Sud, Marlene et Burt se promènent ensemble à la nuit tombée dans les collines de Rio, et c’est là que Burt entend monter pour la première fois la clameur des tambours, ce qu’il appelle le baion beat - where the one is followed by a one-beat pause and the two half beats. Phil Spector l’a utilisé dans «Be My Baby» et on le trouve aussi dans le «There Goes My Baby» composé par Jerry Leiber & Mike Stoller pour les Drifters.
Et puis en 1962, Burt compose «Mexican Divorce» avec Bob Hilliard. Comme ils n’ont pas le temps de s’en occuper, Leiber & Stoller demandent à Burt de faire répéter les background singers et là, il se paye le flash de sa vie : «Il y avait quatre girls, et elles sonnaient toutes si bien que je ne savais pas laquelle était la meilleure.» Il se retrouve en effet avec Cissy Houston, ses nièces Dee Dee et Dionne Warwick et leur cousine Myrna Smith. Mais il voit très vite que Dionne la lionne sort du lot - Right from the first time, I ever saw Dionne - Elle avait nous dit Burt une grâce et une élégance qui la distinguait des autres - To me, Dionne looked like she could be a star - Et il va en faire une star, c’est-à-dire l’interprète de ses compos. Dionne demande à Burt si elle peut chanter des démos, Burt accepte et elle enregistre la démo de «Make It Easy On Yourself». Bon, Burt la fait écouter à Florence Greenberg, la bosse de Scepter, qui n’en veut pas. C’est un black de Vee-Jay, premier label black d’Amérique basé à Chicago, qui va ramasser cette merveille. Venu faire ses courses au Brill, il achète «Make It Easy On Yourself» pour le refiler à Jerry Butler. Boom !
Dans des pages extrêmement intenses, Burt évoque son obsession de la perfection. Il veut que la compo soit parfaite avant l’enregistrement. Il s’aperçoit que de se lever à 4 h du matin n’y change rien - No matter how hard I tried, nothing was ever perfect. Il y avait toujours un défaut quelque part. Des années plus tard, quand j’ai fini par réaliser que si tout le reste allait bien, alors je devais me résigner. Ce qui doit être la définition de la maturité - Mais quand il entend sa compo à la radio pour la première fois, il panique - I knew that it was never going to sound as good as I wanted it to - Il se disait même prêt à se rendre à l’usine pour superviser la fabrication des albums. Il va aussi mettre des usines en concurrence pour voir qui presse le meilleur vinyle. En studio, c’est encore pire : vingt ou trente prises qu’il écoute et réécoute avec un soin maniaque over and over again - I could have heard it a thousand times and I was still never satisfied with the way it sounded on the radio. Burt est un peu comme Totor : son obsession finit par le transformer en génie.
Burt revient constamment sur Dionne. Ce sont les pages les plus fascinantes du book. Il fait de Dionne l’égale d’Aretha, ce qu’on ressent automatiquement à l’écoute de ses albums - Ce qui rendait Dionne différente des autres artistes avec lesquels on travaillait, c’était le fait qu’elle avait étudié le piano et qu’elle savait lire une partition. Ce qui représentait pour moi un très gros avantage. Plus Hal et moi on travaillait avec elle et plus on voyait ce qu’on pouvait faire. Dans «Don’t Make Me Over», a song that goes from twelve/eight to six/eight, I had her sing an octave and a sixth and she did it with her eyes closed - Cette dernière phrase contient toute l’admiration qu’éprouve Burt pour Dionne - Dionne could sing that high and she could sing that low. She could sing that strong and she could sing that loud, yet she could also be soft and delicate. Notre relation musicale évoluait, j’ai commencé à voir son potentiel et j’ai compris qu’on pouvait prendre plus de risques. À mes yeux, il y avait dans sa voix tout le mystère et toute la délicatesse d’un vaisseau construit dans une bouteille - Et pouf, Dionne intervient pour dire qu’en effet, il y eut 32 prises de «Don’t Make Me Over», son tout premier enregistrement. Burt lui répétait sans cesse : «Can you give me one more ? I think you’ve got one more in you.» Dionne n’en revient pas d’avoir fait 32 prises, avec tous les musiciens et les backing singers dans le studio. Elle ajoute avec une pointe d’humour que Burt a finalement choisi la deuxième prise. Burt emmène ensuite l’enregistrement chez Florence Greenberg qui cette fois éclate en sanglots. Pas parce qu’elle appréciait le cut, nous dit Burt, mais parce qu’elle n’arrivait pas à l’apprécier.
Quand Burt et Hal David composent «What The World Needs Now Is Love», ils demandent à Dionne de l’enregistrer, mais elle les envoie promener - Okay, it’s not my favorite song that you guys have written - Alors ils font venir Timi Yuro dans leur bureau pour lui soumette le cut, elle commence à le chanter, et quand Burt tapote sur la table pour accentuer certains passages, Timi se fout en boule, lui dit «Oh go fuck yourself» et se barre. Ils proposent ensuite le cut à Jackie DeShannon et là ça marche, Burt l’accompagne - Holy shit, she sounds like the song was made for her - Burt lui rend un sacré hommage : «The way Jackie DeShannon could sing killed me, because she had the rough kind of imperfect voice that was absolutely perfect.» Ce hit magique sera ensuite repris par une centaine d’artistes, nous dit Burt. Évidemment, Dionne la lionne est furieuse. Elle en veut à Burt d’avoir refilé «What The World Needs Now Is Love» à une autre. Burt prend bien soin de rappeler que sa relation avec Dionne est strictement professionnelle, comme le fut sa relation avec Marlene, mais il pense que sous cette colère s’en cache une autre : il suppose que Dionne est jalouse d’Angie Dickinson que Burt vient d’épouser. Quand Angie et Burt vont voir Dionne chanter au Savoy à Londres, la lionne arrive sur scène coiffée d’une perruque blonde, et là Burt comprend tout - What the fuck? I was speechless.
Burt raconte que Brian Epstein acheta «Anyone Who Had A Heart» pour le ramener à Londres et le confier à George Martin. La première idée était de demander à Shirley Bassey de l’interpréter, et puis George Martin préféra l’enregistrer à Abbey Road avec Cilla Black. Dionne la lionne se moque un peu des Anglais, car ils répliquaient au détail près les enregistrements américains - Si l’organiste avait joué une fausse note ou si j’avais toussé pendant l’enregistrement, Cilla aurait aussi toussé et l’organiste anglais aurait joué la fausse note. Ils copiaient au détail près tout ce qu’on enregistrait.
Burt travaille aussi avec des mecs. Son premier chanteur de démos est comme déjà dit l’excellent Lou Johnson. Burt bosse aussi avec Brook Benton, qui lui pose des problèmes, car il chante des fausses notes dans la montée mélodique d’«A House Is Not A Home» - Benton was being a real pain in the ass and at one point he uttered this great line : «I could read music, but I don’t want to spoil my soul.» - Alors Burt demande à Dionne de reprendre le cut qui reste l’un des préférés de Burt. Il rend hommage à Dusty chérie qui en fit une version géniale, de même qu’Ella Fitzgerald et Stevie Wonder. Il pense que la meilleure version est celle de Luther Vandross - I think he did the best version ever.
Quand Brian Epstein fait écouter «Alfie» à Cilla Black, elle dit qu’elle ne peut pas chanter ce fooking machin-là. Pour elle, Alfie est le nom d’un chien. Comme elle ne veut pas dire non pour de bon, elle dit à Brian qu’elle n’acceptera de chanter «Alfie» que si Burt accepte de faire les arrangements. Elle est convaincue que Burt va refuser. À sa grande stupéfaction, il accepte. Cilla est baisée. Alors elle pose une deuxième condition : Burt doit assister aux sessions d’enregistrement à Londres. À sa grande stupéfaction, il accepte. Alors elle pose une troisième condition : Burt doit jouer pendant la session. À sa grande stupéfaction, il accepte. Elle ne peut plus reculer. Aux yeux de Burt, Cilla est une big star. Il est en plus ravi que George Martin produise la session. Il prend l’avion, débarque à Londres et fait répéter Cilla chez George Martin. Puis ils vont à Abbey Road enregistrer avec un orchestre de 48 personnes et The Breakaways comme singing backup. Mais Cilla dit qu’elle en bave - It was unbelievably hard, aussi quand j’ai commencé en douceur, j’ai eu d’énormes difficultés to get that energy up, litterally from my boots, pour aller chercher the high note. I was hurting - Burt voit qu’elle en bave - Je ne pense pas que personne ait jamais fait subir ça à Cilla. She had a really strong pop voice, but what I wanted her to do on «Alfie» was go for the jugular. On a fait 28 ou 29 prises et chaque fois je lui demandais : «Can we do better than that ? Can I get one more ?». George Martin a fini par me demander : «Burt, que cherchez-vous ici ?» et le lui ai répondu : «That little bit of magic.» Et il m’a dit : «Je crois que vous l’avez sur le take four.» - Cilla finit par être exaspérée par Burt qui se régale - but she sang her ass off - Cilla : «I wanted to foo-king kill him but he was so foo-king gorgeous.» Burt dit aussi qu’«Alfie» fait partie de ses compos chouchoutes, mais pour le fan ordinaire, c’est un cut beaucoup trop sophistiqué.
Burt revient sur Dusty chérie, «a great girl with a soulful voice, but she was very hard to record. On était tous les deux des perfectionnistes, mais Dusty était beaucoup plus dure avec elle-même qu’il n’était nécessaire, et si on avait enregistré un album ensemble, on aurait fini par se détruire l’un l’autre.» Ils enregistrent ensemble «The Look Of Love» à Londres et crois-le bien amigo, chaque fois que tu écoutes ça, tu tombes de ta chaise tellement s’est puissant.
Un peu vers la fin du book, Burt parle d’argent. Il roule un peu sur l’or et dit qu’il possédait quelques chevaux de course, deux restaus à Long Island, un car-washing dans le New Jersey, 500 têtes de bétail et quelques propriétés en Georgie. Puis Burt et Hal se brouillent. Dionne qui vient d’arriver sur Warner leur demande de composer un album pour elle et Burt refuse car il ne supporte plus Hal. Alors Dionne traîne Burt et Hal en justice. Ils ne s’adresseront plus la parole pendant dix ans. Burt disparaît de la circulation et même de son mariage.
C’est la naissance de sa fille Nikki qui sauve provisoirement son mariage. Il finit par se réconcilier avec Dionne la lionne et enregistre «That’s What Friend Are For» avec elle en 1985 - Je pensais qu’on avait besoin d’une autre voix féminine et j’ai fait venir Gladys Knight, et Dionne a fait venir Stevie Wonder pour qu’il l’accompagne à l’harmo chromatique et qu’il chante avec elle. Mais il me fallait encore une autre voix d’homme. Ce fut Luther Vandross, who I always thought was an unbelievably great singer and very cool - C’est l’époque où Burt bosse avec Carole Bayer Sager. Elle le voit comme un «sexy, handsome, talented man who could pretty much have an active and interesting sex life at any given time.» Après avoir divorcé d’Angie et de Carole, Burt rencontre Jane.
En 2003, Mo Ostin appelle Burt pour lui proposer d’enregistrer un album avec Ronald Isley : Isley Meets Bacharach - Here I Am - I put him right up with Luther Vandross as one of the great singers of all time and I still love what we did together on that album - Oh la la, quel album ! On dit parfois de ce genre d’objet qu’il est «à se damner pour l’éternité», ce qui bien sûr ne veut rien dire, mais on s’accommode fort bien de ce genre de petite faiblesse. Ronald étant Ronald, il commence bien sûr par le cut le plus difficile, on peut même dire le plus hermétique, de Burt, «Alfie». Il se retrouve vite emmitouflé par les orchestrations du soft power et des coulées de Disneyland, alors que ruissellent les myriades d’étoiles, Ronald roucoule comme un black pigeon, il fait son cake d’ouate les doigts dans le nez, il est gluant de réussite, c’est atroce de voir une star comme lui se compromettre avec «Alfie». Mais il va se rattraper avec «Raindrops Keep Falling On My Head». Les trompettes de Burt entrent dans la culotte de Ronald qui pousse des mmmuuuhhh de plaisir. Alors il se met à chanter the pure black magic. Il tourne le Raindrops à son avantage, il en fait de la Soul demented, il te le grovve au Black Power, il te le retourne comme une crêpe, il en fait une Soul de soulève-toi, une Soul de lever de boucliers, Ronald te retapisse le mythe. Il traverse les frontières, il te groove littéralement le Burt. Pur genius ! Il attaque «In Between The Heartaches» au sommet du lard et il te coule le Burt dans un bronze spectaculairement beau. C’est à tomber de ta chaise. Alors tu tombes. Ronald est un homme gluant de génie vocal. On le sait depuis longtemps, mais avec Burt, ça prend des proportions extravagantes. Tu te retrouves au bord de la rupture de langage. Il fait de chaque cut une sorte de panacée historique. Il les emmène un par un au paradis. Il retapisse tout Burt, mais à un point extrême. Encore un exemple avec «A House Is Not A Home». Il entre dans le Burt avec un soin extrême - You can kiss good night - Il recrée le mythe pour le développer à la voix surnaturelle de two of us. On assiste à une incroyable retenue du flux. Et on monte encore d’un cran avec «The Look Of Love». Toujours les trompettes. Ronald entre dans le chou du lard avec un Look qui sonne bien, il se glisse dans les trompettes comme un anaconda et remonte le courant du flux musical. Il finit par s’y fondre à la force du sucre. On attend Ronald au virage pour «This Guy’s In Love With You», sans doute le plus beau hit de Burt. Dès l’intro, t’es baisé. Ronald te cueille au menton, you see this guy/ This guy’s in love with you - il tient son Burt par la barbichette pour mieux le groover, oh I’ll show you, c’est monstrueux de perfection unilatérale, et Ronald s’envole comme un ange au firmament, I need your love/ I want your love, yéééé, il y va ! L’autre grand choc émotionnel vient bien sûr du fameux «Close To You» qui s’appelle ailleurs «(They Long To Be) Close To You». Encore une mélodie parfaite, c’est orchestré heavily sous le boisseau, comme le «Blues» d’Aragon qu’adapta jadis Léo Ferré. Ronald crée en prime de l’hyper-magie sur le compte de Burt. Il te propose un océan de magie vocale, c’est le thème magique par excellence, tu t’épuises comme Des Esseintes à en goûter la saveur, c’est l’une des plus belles chansons de tous les temps et c’est joué fouetté à la peau des fesses. Ronald termine cet album surnaturel avec deux ou trois autres bricoles, dont le fameux «Anyone Who Had A Heart», Ronald envoie ses yeah cogner aux portes, il ne prend aucun risque, il étend l’empire du soft power.
Signé : Cazengler, Bacharate qui s’ditate
Burt Bacharach. Disparu le 8 février 2023
Burt Bacharach. Portrait In Music. A&M Records 1971
Isley Meets Bacharach. Here I Am. Dreamwold Records 2003
Burt Bacharach. Always Something There (A Burt Bacharach Collectors’ Anthology 1952-1969). Ace Records 2008
Burt Bacharach. Anyone Who had A Heart. My Life And Music. Atlantic Books 2013
L’avenir du rock - Les gars du Nord (Part One)
Quand on lui demande quels sont ses meilleurs souvenirs d’enfance, l’avenir du rock garde le silence un petit moment. Il hésite à répondre qu’en tant que concept, il n’a pas de parents, donc pas d’enfance. Mais comme il trouve son interlocuteur charmant, il ne veut pas le décevoir. Alors il lui raconte des souvenirs fictifs de vacances de Noël à Roubaix. «Cette semaine de vacances était d’autant plus le paradis que la vie à la maison était un enfer», annonce-t-il en guise d’introduction, pour que les choses soient bien claires. Parents séparés et une mère qui avait repris sa liberté pour aller mener la belle vie dans le Nord. «Alors effectivement, c’était la belle vie», ajoute un avenir du rock exubérant. Ses pupilles étincellent de mille feux. Il boit un coup et reprend le fil de son récit. Après douze ans de vie conjugale, sa mère n’avait rien perdu de son éclat. Elle partageait à présent la vie d’un homme qui était le sosie parfait de Charles Bronson, une vraie gueule de movie star, avec ce regard extraordinaire d’yeux plissés. Ne manquait que l’harmo. Il se baladait à poil dans le salon, constamment en érection, et s’amusait à casser des briques à coups de karaté. L’autre habitant de cette petite maison du bonheur était un immense chien loup noir, Péro, qui avait pris l’habitude de se dresser sur les pattes arrière et de poser les pattes avant sur nos épaules, pour manifester son affection. Il poussait la chaleur de ses élans jusqu’à l’éjaculation, ce qui faisait bien marrer Charles Bronson. L’apéro commençait autour de 16 h, chaque jour, et au moment de partir en goguette chez des amis de Charles Bronson pour continuer de faire la fête, tout le monde était défoncé, y compris Péro qui adorait le Pastis. Charles Bronson conduisait sa 504 en rigolant pendant que sa compagne le masturbait. Péro qui flairait l’odeur du sexe se frottait convulsivement contre le dossier du siège avant. Un vrai Paradis ! L’accueil chez les amis était chaque fois pharaonique ! Chaque soir une maison différente et des amis chaleureux, alcoolisés à outrance et vivant la vraie vie jusqu’à l’aube. On aurait dit que toute la ville faisait la fête. Toutes les petites rangées de maisons en briques rouges vibraient de musique et de trilles de rires. «Ah les gars du Nord !», s’exclame l’avenir du rock, l’œil humide.
Dans le Mississippi, les gars du Nord sont bien sûr les North Mississippi Allstars, les deux fils de Jim Dickinson. Leur nouvel album s’appelle Set Sail. Ils continuent de cultiver leur art du heavy groove de cool moon avec le Part 1 du morceau titre.
Les deux frères Dickinson font la loi dans le don’t wanna be rise. Ils peuvent même entrer en rivalité avec le groove fantôme de la Nouvelle Orleans, comme le montre le fier «Bumpin’». Mais c’est avec «See The Moon» qu’ils vont conquérir l’Asie Mineure. Leur heavy rumble de Missip est imparable, ils tapent dans le dur du Moon, avec des chœurs demented, il montent l’heavy Dickinson art en neige jusqu’au vertige. Et ça continue avec «Outside», plus classique, même si d’obédience heavy Missip. C’est magnifique, encore une véritable œuvre d’art, c’est une merveille sourde, une avancée lourde et lente, ils charrient tout le poids du limon, c’est quasiment le beat de Redbone. Et puis voilà qu’ils reviennent en mode Dylanesque avec «Didn’t We Have A Time», mais l’ancien mode Dylanesque, le plus austère, et ça donne une petite merveille d’entre-deux, Luther fait du big Luther - Recognize me/ Didn’t we have a time ? - Il est superbe de sincérité. Le coup de Jarnac de l’album est le guesting de William Bell sur «Never Want To Be Kissed». Wow, ça vire Staxy, baby, en mode slow groove violoné, mais que d’heavyness dans l’intention ! Et puis tu vas craquer avec ces chœurs de blackettes. Retour au morceau titre avec le Part 2, un heavy groove joliment orchestré, glissant comme une fuite en avant, très bel exercice de style, mais inclassable, dominé par des violons et un heavy bassdrum. Il semble que les deux frères cherchent un passage vers d’autres horizons, comme le montre encore «Juicy Juice», plus funky, mais c’est un dark funk du Missip, plein de bruits de chaînes et de coups de fouet - Oooh drinkin’ - pas loin de Dr John, dans l’esprit de that juicy juice. Ils reviennent à Redbone avec le tribal «Rabbit Foot» et finissent avec un cut en forme de joli cœur, «Authentic» qui lui aussi échappe aux genres, et c’est bien ce qui rend les gars du Nord fascinants, cette facilité qu’ils ont de faire leurs adieux aux muddy roots quand ça leur chante.
Avant d’entrer dans un Part Two qui va éplucher leurs vingt ans de carrière, on peut saluer l’album précédent, l’excellent Up And Rolling, paru sous une magnifique pochette : on y voit le juke-joint de Junior Kimbrough. La cerise sur le gâtö est le très beau livret glissé à l’intérieur de la pochette. En une de couve, on voit les deux mains d’un vieux nègre rouler une clope. Et quand on ouvre, on tombe tout de suite sur l’image parfaite : Otha Turner pose la main sur la cuisse de Luther Dickinson, assis à côté de lui. Luther raconte dans un texte fascinant comment est venue l’idée de publier ce disque et ce livre : en redécouvrant tout simplement les clichés d’un photographe texan nommé Waytt McSpadden, qu’ils avaient emmené en virée dans le Mississippi. Ces photos retraçaient une histoire datant du siècle précédent et ressuscitaient ce que Luther appelle un cast of characters, c’est-à-dire un casting spectaculaire. Trois générations de familles installées in the rural Mississippi. Premier hommage à Otha Turner avec ceci: «Like our father, Jim Dickinson, Otha is masterful at collaborating from the grave. Their creativity transcends death.» Ce que Luther raconte ensuite du Kimbrough juke-joint explose la cervelle du lecteur: il raconte comment après une nuit entière à jouer «All Night Long», Junior passe sa guitare à son fils Dave qui part en mode freak-out «like Jimi meets Prince meets Fred McDowell in a cotton-patch-disco-moonshine acid test». Luther et son frère Cody démarrent l’album avec «Call That Gone», en compagnie de Sharde Thomas, la petite fille d’Otha Turner. Fantastique brouet, chanté à deux voix, bye bey baby, bye bye. On retrouve Mavis dans une reprise du «What You Gonna Do» de Pops. Ça devient mythique-What/ You/ Gonna do!-Elle sait de quoi elle parle. Ils tapent plus loin dans le «Peaches» de RL, un authentique boogie de North Mississippi Hill Country Blues. Luther ramène énormément de son dans ses cuts. Il travaille au gras-double. Il fait carrément un festival de space guitar. On croise d’autres invités en B, comme par exemple Jason Isbell, l’ex-Drive-by Truckers, et le fils de Dickie Betts. Cedric Burnside vient aussi allumer «Out On The Road», boogie blues plus classique. Pas question de s’écarter du droit chemin. Puis on tombe sur un blues bien glissé sous le boisseau, typique de Junior Kimbrough: «Lonesome In My Home». Luther et Cody se montrent déterminés à préserver cette fabuleuse tradition du North Mississippi Hill Country Blues.
Et hop, voilà que la fabuleuse tradition débarque en Normandie, sous la forme la plus dépouillée qui soit : Luther et Cody. Ils n’ont besoin de personne en Harley Dickinson. L’illusse qui orne la tête de gondole est plus ancienne : elle date du temps où les gars du Nord étaient trois, avec le gros bassman black Chris Chew. En jouant à deux, ils perdent un peu de viande, mais ça reste assez solide.
N’oublie pas qu’ils sont non pas les enfants du limon, comme dirait Queneau, mais les enfants du mythe, ce qui permet de supporter quelques longueurs, notamment le solo de batterie. Bon d’accord, Cody est un fantastique beurreman, mais on croyait en avoir fini avec ce genre de pratique. Il fut un temps, t’en souvient-il, où les solos de batterie ruinaient les concerts. Au plan humain, Luther et Cody sont frais comme des gardons, fabuleusement pimpants, ravis de se produire au pays du camembert, ça se sent, ils n’en finissent plus de remercier la salle, et comme ils parlent avec un fort accent des backwoods, les tentatives d’échange tombent à l’eau. Non seulement ils sont physiquement présents, mais en plus, ils jouent comme des cracks. Cody bat sec, mais avec le poignet souple du jazzer.
Luther claque en permanence le beignet du North Mississippi Hill Country Blues, tout en lui n’est que niaque, luxe et virtuosité. Ils revisitent tout le catalogue de la fabuleuse tradition, à commencer par le «Going Down South» de RL Burnside, l’un des fleurons du patrimoine, fantastiquement hypnotique et battu à la diable par Cody.
Luther annonce un petit shoot de Mississippi psychedelia et hop, roule ma poule avec «Up And Rolling», directement inspiré des grandes œuvres de Junior Kimbrough. Ils tapent plus loin dans un autre classique de RL Burnside, le mighty «Snake Drive», que Luther contrebat au dumb dumb sur ses cordes graves, et ça prend une ampleur considérable, dumb dumb. Il existe une version spectaculaire de «Snake Drive» sur l’A Ass Pocket Of Whiskey, l’album qu’enregistra jadis RL Burnside avec Jon Spencer. Ils finissent avec un autre classique, le «Shake ‘Em On Down» de Mississippi Fred McDowell, un autre classique définitif du freakout local. C’est une transe qui ne pardonne pas, pleine de collines et de vallées, de pluies et de vents, d’avenir et de passé, Luther et Cody recréent le vieux tourbillon au travers duquel tant de vieux blacks sont passés avant eux, et du coup les voilà devenus les gardiens du temple.
Signé : Cazengler, North Mississippiteux
North Mississippi Allstars. Le 106 (Rouen). 25 février 2023
North Mississippi Allstars. Set Sail. New West Records 2022
North Mississippi Allstars. Up And Rolling. New West Records 2019
Inside the goldmine - Duncan the can
Bien que de petite corpulence, Dycon avait réussi à s’imposer. Il disposait pour cela d’un bon timbre de voix et d’une posture de tribun. Un public de 300 personnes ne l’impressionnait pas. Sous ses petits cheveux noirs taillés très court se dessinait l’ovale parfait de sa petite bouille. Deux petits yeux noirs semblaient y pétiller de vie et en de rares occasions, un sourire mettait en valeur deux ravissantes dents de lapin. Il ne laissait rien filtrer de sa vie privée. Une rumeur voulait qu’il pilotât une grosse moto pour se détendre. Un autre voulait qu’il fût amateur de punk-hardcore, au point d’aller voir jouer certains groupes dans des endroits peu recommandables. Mais on ne savait rien de plus. Et bien sûr, pas question d’aller lui tirer les vers du nez. Il portait toujours des chemises blanches immaculées et parfaitement opaques, et rien ne permettait de supposer qu’il portait des tatouages. Son statut dans le groupe n’était pas bien défini, il en était l’un des co-fondateurs, mais il semblait avoir repris une certaine indépendance. Lors des réunions où l’on abordait l’épineuse question du développement commercial, il intervenait pour dire qu’il proposerait telle ou telle prestation à certains de ses clients, qui n’étaient donc pas les clients du groupe. Cela ne posait aucun problème à personne. Dans cette sphère professionnelle, les gens qui savent vendre du conseil naviguent souvent en solitaire et créent des liens commerciaux extrêmement lucratifs et à l’épreuve du temps. Alors que la grande majorité des gens en activité sont rongés par des hantises, Dycon appartenait à la minorité de ceux qui ont su traverser le miroir, ceux qui découvrent l’envers du décor. Dycon semblait flotter au milieu de nulle part. Il disait souvent qu’il refusait des offres et qu’il était déjà beaucoup trop riche. Il passait de moins en moins de temps à Paris, car ses clients étaient souvent à l’étranger. Puis nous n’eûmes plus de nouvelles de lui pendant un an, pendant deux ans. Il avait su pousser l’abstraction qui caractérisait son activité jusqu’à l’incarner. Il ne nous restait plus qu’une seule chose à faire : interpréter les signes. Par exemple, cet appel entrant, la semaine dernière, un nouveau client. Un gros budget. Ça ne tombe jamais du ciel. Dycon ? Forcément.
Dycon et Duncan ont ceci de commun qu’ils flottent tous les deux au milieu de nulle part. Tu sais qui est Dycon parce que tu as eu le privilège de bosser avec lui, et tu sais qui est Duncan, parce que tu as eu la chance de le découvrir sur une compile consacrée à Joe Meek, Bad Penny Blues - The Early Years. Mais ça s’arrête là. Et puis si tu y réfléchis bien, c’est suffisant.
Mais une chose t’intrigue quand tu écoutes «Blue Blue Heartache», western swing in London town, et le wild as fuck «If You Love Me Baby». Johnny Duncan est un chat sauvage, il est le killer kat de Meeky Meek, il joue par-dessus la jambe. À ce niveau de qualité, tu te poses des questions. D’où sort ce Johnny Duncan ? Tu as la réponse au dos des pochettes de ses trois albums : c’est un cat originaire de Knoxville, Tennessee, qui débarque en Angleterre en 1952, comme G.I., et qui se marie avec une Anglaise. Il rentre au bercail après son service, tourne pas mal dans le Kentucky avec son groupe, puis revient en Grande-Bretagne. Il auditionne pour Chris Barber qui cherche un mec pour remplacer son chanteur Lonnie Donegan, parti voler de ses propres ailes. Comme il est en Angleterre, Johnny Duncan en profite en plus pour enregistrer ces merveilles qu’on trouve sur Bad Penny Blues - The Early Years.
Alors tu te jettes aussitôt sur Johnny Duncan’s Tennessee Song Bag, un 25 cm paru en Angleterre en 1957. Tu vas être surpris par la qualité du cat. Avec «Get Along Home Cindy», il te claque un joli shoot de wild Americana. Son «Old Blue» sonne comme un classic jive de come on blue. Mais c’est avec «Travelin’ Bues» qu’il rafle la mise. Ce mec Duncan est une merveille, il ramène la crème de la crème en Angleterre. Il déroule son Travelin’ Blues sous la voûte étoilée et un trompettiste vient transpercer le cœur de cette bluette. En B, tu as encore deux shoots fiévreux d’Americana, «Just A Little Lovin’» et le wild as fuck «Which Way Did He Go», du bluegrass punk, avec un côté white roots exacerbé. À ne pas laisser à portée de toutes les oreilles.
Très bel album que ce Johnny Duncan Salutes Hank Williams paru en 1958. Avec Hank Williams, la partie est gagnée d’avance. Johnny Duncan ouvre son balda avec «Hey Good Looking», ah on peut dire qu’il sait bopper l’Hank, le cat ! Wow ! Et ce démarrage en côte du slap vaut tout l’or du monde. Quel sens du swing ! Sa version de «Moanin’ The Blues» est un vrai coup de génie. Attaqué à la clarinette de New Orleans, le cut bascule ensuite dans le heavy groove de bop. En prime, Johnny Duncan envoie le plus beau yodell d’importation. Il tape aussi une fantastique cover de «Jambalaya (On The Bayou)», il y va au son of a gun, ça joue aux percus de Cuba, avec un violon de saloon. Quel incroyable brouet ! En ouverture du bal de B, il prend «Your Cheatin’ Heart» au sucre candy, rien à voir avec le Cheatin’ que fait Jerry Lee au Star Club de Hambourg. S’ensuit un exercice de white country-blues de haut vol avec «Long Gone Lonesome Blues» et il fait enfin du pur rockab avec «Mind Your Own Business». C’est le Southern swing à l’état le plus pur.
En 1961, Johnny enregistre un album de gospel blanc, Beyond The Sunset. On ne l’écoute que par sympathie pour ce cat du Tennessee, mais le gospel des blancs est une catastrophe. Même si c’est orchestré par Ivor Raymonde, l’ensemble est assez fluet. Aucune profondeur. On croirait entendre des oisillons piailler au fond d’un nid installé dans un arbre dessiné par Walt Disney. Ces blancs qui chantent les louanges du seigneur sont à la fois grotesques et surprenants. Bon, c’est vrai que Johnny Duncan a une belle voix. Mais il devrait la mettre au service du rockab. Ce gospel blanc est une vraie tarte à la crème.
Pour terminer, on peut se repaître d’une belle compile Bear, Last Train To San Fernando. Il a pas mal de cuts qui sonnent comme du comedy act, car il chante parfois avec une voix de canard, comme le font les Coasters. Mais derrière lui, ça joue au wild punk as fuck d’Americana débridée, comme le montre le morceau titre d’ouverture de balda. Avec «Geisha Girl», le cowboy débarque au Japon, il swingue son kimono vite fait bien fait. En fait, Johnny Duncan fait essentiellement du skiffle et comme il a joué pendant un an dans le Kentucky, le bluegrass n’a plus aucun secret pour lui. Il faut attendre «I Heard The Bluebird Sing» pour frémir un bon coup, il joue ça au fouette cocher, c’est du pur tagada de wild as fuck, il n’y a que les Américains pour gratter le banjo du diable. On retrouve aussi l’excellent «Git Along Home Cindy» du premier album, cette fois le Get est un Git, c’est un bluegrass extrêmement puissant. Il attaque son «Rockabilly Medley» au violon, et du coup, ce n’est pas du rockabilly. Retour en grâce en B avec «Rock A Billy Baby», encore du rockab de saloon, embarqué au violon, avec un bop en patte de bois, c’est-à-dire une note sur deux. C’est avec «Blue Blue Heartache» qu’il rafle la mise. Johnny Duncan est un artiste complet, il mène tout son biz au fouette cocher, avec des solos virtuoses. Il termine cet album déroutant avec un «Railroad Medley» qui contient une fantastique version d’«I’m Movin’ On», classique rockab rendu célèbre par Johnny Horton, et il finit en mode Last Train To San Fernando. Duncan dot it !
Signé : Cazengler, Johnny Ducon
Johnny Duncan’s Tennessee Song Bag. Columbia 1957
Johnny Duncan Salutes Hank Williams. Columbia 1958
Johnny Duncan. Beyond The Sunset. Music For Pleasure 1961
Johnny Duncan. Last Train To San Fernando. Bear Family Records 1985
ROCKABILLY RULES! ( 11 )
N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle!
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THE STILETTO SHAKERS
Tout jeune mes connaissances de la langue de Keats étant très limitées je me demandais ce que pouvaient bien être ces High Heel Sneakers chantés par Jerry Lee Lewis, ce mot heel prononcé par le killer me figurait un objet pointu genre cran d’arrêt, un joujou de blouson noir, j’ai été très déçu plus tard lorsque j’ai appris que ce vocable porteur de rêve et de violence désignait de simples talons aiguilles. Idem pour les Stiletto Shakers, nos secoueurs de stiletto remuent-ils des escarpins ou un stylet, ce poignard que les traîtres vous enfoncent dans le dos dans les drames romantiques. Je vous laisse choisir: la danse ou le crime, que chacun suive son chemin et aille en paix… Pour la petite histoire j’ajouterai que j’ignorais que High Heel Sneakers était un original de Tommy Tucker, et cerise sur le gâtö chère à notre Cat Zengler, la face B de ce simple était Whatcha gona do, titre phare du premier 45 tours de Little Richard que j’ai acheté. Pour la grande géographie ils sont basés à Brighton cité célèbre pour ses bagarres entre mods et rockers voici un demi-siècle.
En tout cas nos Stiletto Shakers semblent avoir compris que dans la vie la première chose à secouer c’est soi-même, ils ont sorti 14 titres en dix mois. Un effort méritoire car ils ne sont que deux à être crédités:
LV: writing, guitars, vocals, production, mixing / Anthony: drums.
RUMBLE: ( Piste numérique / Bandcamp/ Mai 2022 ): drôle d’interprétation, le Rumble de Link Wray c’est la préfiguration du noise, ici nous avons une version beaucoup plus policée qui refuse de tomber dans l’abîme du son, la guitare se raccroche aux petites branches harmoniques du jazz pour donner un semblant de musicalité, l’original se tortile et gronde comme les têtes de l’Hydre de Lerne, sur cette démo l’on arrive après qu’Hercule ait méchamment cisaillé la bestiole, une version qui se rapproche d’un son qui se voudrait sixties sans oublier tout ce qui est venu après, d’où cet effet de boursoufflement étonnant. Une chose est sûre, Lewis Vimpany connaît ses classiques mais ne comptez pas sur lui pour les respecter à la lettre. L’occasion de ranimer la querelle des anciens et des modernes.
SURFIN: ( Piste numérique / Bandcamp/ Mai 2022 ): étonnante pochette , une mer idéale pour pédalos asthmatiques bien trop calme plat pour pratiquer les joies du surf, que nous prépare cet hommage à Dick Dale: en écoutant ce Surfin’ l’on comprend que Lewis Vimpany essayait de surfer sur les récifs de Link Wray, l’est plus à son aise ici, mais à quoi visent ces introductions de cuivres, dans le morceau précédent ils s’incluaient dans son approche jazzy, là on est obligé d’admettre que, comme Baudelaire à la fin des Fleurs du Mal, Lewis cherche du nouveau…
P.S. : un indice sur cette pochette vous permet de trancher entre escarpin et cran d’arrêt.
ALL OF THE NIGHT, ALL OF THE TIME
( Album numérique / BandCamp:/ Septembre 2022 )
La pochette laisse présager du old rock’n’roll style mais avec cet animal l’on se méfie, les deux démos précédentes avaient l’air de brouillons d’un gars qui cherche son style à lui.
What goes around: l’a manifestement trouvé, la musique devant et la voix par-dessous, un riff d’entrée qui balance et qui patauge, et c’est parti pour ne jamais revenir, un peu simpliste beaucoup efficace, une guitare qui vous vrille les oreilles, une basse qui vous ramone le ciboulot, le genre de gangue dont vous n’avez aucune envie de sortir. D’ailleurs vous avez une fausse sortie, juste pour continuer de plus belle. Two dollars water pistols: au tout début l’on ne sait pas de quel côté l’on se dirige, manifestement vers le blues, très électrifié avec cette voix qui bourdonne dans votre tête, cette guitare qui pousse des icebergs, vous vous en moquez, z’êtes bien, à l’abri dans la coque de la guitare brise-glace qui pourfend la banquise de vos frigidités mentales sans discontinuer. C’est si bon que la fin trop brutale vous file un coup au moral, normal c’est du blues. Get by: claquement de mains et tatanes de guitares sur la gueule, le blues peut parfois être punchy, toujours cette voix qui prend garde à ne pas s’attribuer la première place, ce coup-ci vous ne descendez pas au prochain arrêt, c’est prévu pour sept minutes de délices non-stop à Capoue, entre nous un truc assez terrible, l’histoire d’un mec qui se bat contre l’alcool, ce n’est pas que l’on est méchant mais c’est tellement bon que l’on espère qu’il restera au fond de sa bouteille toute sa vie surtout quand la guitare sonne comme sur les meilleurs morceaux de White Stripe, un régal. The street of love: attention les rues de l’amour sont pavées de bonnes intentions hélas elles mènent aussi à l’enfer, une voix coupante et une guitare pesante comme trois éléphants, le gars n’en a cure continue son martyre doit être maso, et nous un peu sados car quel plaisir ne prend-on pas à ce morceau, peut-être le meilleur de l’opus, pourtant il y a de la concurrence. The sunshine: une guitare moins bluesy par moment presque un peu cacophonique, c’est ici que l’on comprend à quoi rimait ces incursions sur Surfin’ et sur Rumble, un malin ce Lewis, ce n’est pas tant la vlanguinguerie de ces cordes qui vous préoccupe mais la manière dont la voix cisaillante s’entremêle à elles, un peu comme le serpent se débat dans les serres de l’aigle qu’il finira peut-être par étrangler. All of the night, all of the time: batterie + orgue, mais où sommes-nous, la voix ne nous trompe pas, s’appuie sur des cuivres, l’on a changé de crèmerie, bye-bye le rock, bye-bye le blues, nous voici à Motown city, bon les cuivres sonnent un peu comme sur les premiers morceaux de David Jones Bowie qui déjà imitaient ceux des Beatles, c’est cela les p’tits blancs, mais la voix s’accroche, et ce n’est pas mal du tout. Un peu pop évidemment.
Un album surprenant, pas du tout rockabilly, plus proche des Black Keys par exemple, mais l’ensemble se tient, l’on sent que le gars n’a pas de frontière, qu’il se permet de zigzaguer sur l’autoroute du rock’n’roll en se moquant des voies réservées et spécialisées.
BUILT THAT WAY
( Album numérique / BandCamp:/ Février 2023 )
La couve attire l’œil, une file de bagnards condamnés à poser les rails d’une ligne de chemin de fer, seul un guitariste réussit à s’échapper de cet enfer… Stiletto Shakers serait-il en train de se mettre au country…
The deep end: en tout cas les paroles sont dignes d’un film de Ken Loach ou des quartiers pauvres de l’Angleterre, sourions le héros s’en est bien tiré, que de changements, la voix devant et une orchestration beaucoup plus riche et diversifiée, l’on pense à Ray Davies des Kinks, belle prestation de cors ( anglais comme il se doit ), la musique déraille un peu, la guitare grince et ricane jaunâtre, un chant au phrasé parlé qui manifestement ne veut pas se taire, conséquence tout s’arrête un peu brusquement. Built that way: ça reprend de plus belle, un peu plus funky chaotic, la cuivrerie rutile de tous ses feux par intermittence et bientôt tout s’entremêle, cela ressemble à une fanfare compressée, la voix en profite pour prendre le commandement, se fait bientôt rouler dessus par les rouleaux compresseurs blindés du funk qui tirent la corde à eux, et le ramdan s’achève laissant exsangues tous ceux qui sur la piste s’acharnaient à rouler leur popotin. Take my time: tapis de velours cuivré, douceur slowly, oui mais sur cette ouate noire, Lewis sort sa voix comme un serpent de sa boîte, l’autre côté du blues, le cri des chants désespérés et déchirants, celui qui résonne sur la scène de l’Apollo à Harlem, lui il appelle cela du rock’n’roll, comme c’est beau, prenant, empli de violence et de feeling, on lui donne raison. Magnifique. L’esprit de James Brown. Homestead: un instrumental, comme au bon vieux temps de l’année dernière, la guitare acoustique accompagnée de chants d’oiseaux, que de chemin parcouru depuis Rumble et Surfin’, l’on ne peut pas dire que le tigre a limé ses crocs, use de ruses plus subtiles. The threat of happiness: au titre l’on croit être reparti pour un de ses slows dégoulinants de sentiments, mais la voix est trop incisive et le background vous balance la soupe sans se presser, un instant une trompette se croit chez Ellington, l’on est un peu ailleurs, dans un monde sans pitié mais sans cruauté, quand on ne veut pas pleurer il faut savoir rire. Humour noir. Big pay day: changement de lieu, vive le country et ses histoires humouristiques de coups foireux qui tournent mal, mais un country hypervitaminé, noirci jusqu’à la moelle, avec additif de cuivres, guitare en furie et la voix du gars stoïque dans la déveine et qui refuse de s’avouer vaincu.
Lewis Vimpany est manifestement doué. Suffirait qu’une maison de disques parie sur lui pour qu’il nous éblouisse, l’est à l’aise dans tous les registres, compose et écrit ses lyrics. Souhaitons-lui bonne chance.
Damie Chad.
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Un nouveau groupe. Pas tout à fait. Ses membres ont fait partie d’autres formationscomme Monolith Cult, Solstice, Chorus of ruins… des adeptes du doom blanchis sous le harnais, est-ce pour cela qu’ils ont choisi de se nommer les loups en hiver, en tout cas ils ont mis du temps pour sortir de leurs tanières de Bradford (UK) et fomenter leur premier album, formés en 2020 c’est en décembre 2021 et janvier 2022 qu’ils sortent les deux premiers morceaux de l’opus à venir qui finalement seront écartés à la sortie de l’objet final. Sa pochette fonctionne comme un feu orange qui vous avertit de l’imminence d’un danger. J’ai tout de suite pensé à un cerveau humain, mais Ruth Stanley créatrice de l’artwork s’est inspirée d’une photographie sienne d’un nid de guêpes. N’est-ce pas le même genre d’émetteur, le premier lance des idées qui peuvent être mortelles, et du second essaiment des hyménoptères au dard toxique. Le site de Ruth Stanley est à visiter, étrange, fascinée par cette formativité de la vie qui renaît de la mort. Avec des loups on s’attendait à Call of the wild à la London mais non c’est l’aspiration au calme.
THE CALLING QUIET
WOLVES IN WINTER
( Argonauts Records / Février 2023 )
Jack: vocals / Wayne: guitars / Enzo: guitars / Izak: bass / Adam: drums.
Cord that ends the pain: première constatation, disons que c’est un calme intense, bien sûr ce n’est pas violent, mais cent tonnes de pétales de roses pèsent autant que cent tonnes de granit même si à première sensation le contact est plus soyeux, tout en étant aussi lourd, loud and heavy certes mais un heavy qui vous meurtrit douçoureusement, agissent par étouffement, même si au dernier tiers du morceau Adam appuie fortement sur ses peaux. Une pression sans interstice, sans une bulle d’air, les loups vous enserrent et s’agrippent à vous telle la peau à l’orange. L’on est tellement prisonnier de cette pesante atmosphère d’ouate de plomb que l’on en oublie de prêter attention à Jack, il est de ces chanteurs dont la voix culmine tout en haut alors que le morceau repose sur elle car il ne pourrait trouver de fondations plus solides. Nemesis: plus vivement lourd, riff d’airain solide et implacable, cette fois c’est la voix de Jack qui vient nous chercher et nous guider, l’on a besoin d’elle pour échapper à la nécessité de Némésis, la déesse de la vengeance, fille de l’Okeanos, puisque nous ne sommes pas morts durant le premier titre il faut bien se contraindre à survivre dans ce goulot d’étranglement qu’est notre présence au monde, Adam donne le la, ce coup-ci il lance contre nos assises êtrales des tsunamis de haine du vivant qui déferlent très lentement sur nous avec une indicible et incroyable majesté réfutant toute tentative d’opposition ou de révolte. Pastime for helots: surprise, une guitare claire, gouttes d’eau acoustiques. La voix de Jack nous console et nous enferme dans notre faiblesse, la haine de soi revient plus forte, plus dure, plus violente puisqu’elle se retourne sur nous, nous frappe et nous cogne sur toutes les parties intérieures de notre corps, les guitare ruissellent sur nous en averses souveraines, Jack nous conjure de nous redresser, la basse d’Izak nous intime l’ordre de n’en rien faire, et le morceau revient à son point de départ à cette douceur hypocrite de notre renoncement, pour par la suite mieux enfoncer le clou de notre impuissance. Promised harvest: il arrive toujours un moment où la négativité d’une situation atteint le point de sa culminance, il faut alors s’aventurer sur le versant de sa positivité, le problème c’est que parfois l’on se demande si l’on n’est pas obligé de reconnaître son erreur, que c’est le contraire qui se passe, que nous sommes en train de glisser dans l’abîme de notre négativité. Ce riff fracassant, ces cymbales heurtées par le marteau de Thor nous empêchent de savoir où nous en sommes exactement. Oceans: reprise de cette fausse douceur guitarique d’introduction à nos passe-temps d’ilotes, nous voici mollement balancés sur les vagues de nos océans intérieurs, ces sifflements de guitares imitent-ils l’eau du mensonge qui fuit par nos oreilles, ne pas y penser, se concentrer sur le chant de Jack qui déploie ses ailes tel un cygne qui ne parvient pas à quitter la surface de l’eau agitée, pitié, ce n’est pas le slow de l’été mais le morceau cathédrale que tout disque de heavy metal se doit d’offrir à ses auditeurs et celui-ci est prodigieusement coriace et ambigu. Digne de Poseidon. L’ébranleur de la terme ferme de nos intelligences. Calling the quiet: frôlement sonore, chant d’abeilles dans nos âmes, nous avons beaucoup voyagé de par le monde et en nous-mêmes, nullement nous n’avons trouvé ce que nous cherchions, ni en nous, ni en l’extériorité du monde, peut-être aurions-nous dû comprendre que ce qui nous sépare n’existe pas, que le blanc est de la même couleur que le noir, la voix de Jack devient berceuse chaotique d’acceptance, nous n’aspirons plus qu’à ce à quoi nous avons échappé lors du premier morceau. Non pas couper mais serrer le cordon sur notre cou.
Un album exigeant. Qui se doit d’être écouté et réécouté. Attention, à chaque écoute vous risquez d’éveiller le monstre qui repose en vous.
PROMISE OF GOLD: le premier des deux morceaux écartés: très beau, très abouti mais l’on comprend ce qui a notifié son rejet, officiellement les quarante minutes non extensibles du vinyle, le trop grand contraste entre les parties violentes et douces, Calling the quiet joue sur cette frontière fractale, introuvable, qui recule sans cesse dès que l’on s’en approche, telle la ligne d’horizon, qui n’est qu’une ligne de partage qui ne peut être de par et d’autre d’elle-même.
La couve choisie est superbe, un paysage de forêt (l’appel londonien de la forêt ), si vous la regardez de près les arbres dessinent une fenêtre, si vous l’éloignez vous voyez deux colonnes de temple grec. En accord parfait avec ces accents de grécité véhiculés par les titres du vinyle.
SOBERING THOUGHT: pour ce deuxième morceau écarté l’image choisie me semble peu heureuse ce W initial de Wolwes ressemble un peu trop à une tête schématique du bouc diabolique thématique absente de l’album à mettre en relation avec les nombreux essais de logo du groupe visibles sur leur FB : la raison du rejet est patente, une intro trop différente, la voix de Jack abordant une manière d’accentuer et de coller les mots les uns aux autres dont on n’aurait retrouvé aucun écho dans le reste du groupe, la suite cultive cette différence, les Loups sonnent un peu trop comme des dizaines de groupes heavy, sa tonalité caractéristique ne se manifeste qu’à la moitié du titre. De même au second tiers la brisure rythmique est presque caricaturale. Quant au final il fait office de remplissage. Que la critique peu élogieuse de ce morceau ne soit pas l’arbre qui cache la forêt. L’album est une merveille qui ravira les amateurs d’heavy melodic doom et tous ceux qui savent prendre le temps d’écouter.
Damie Chad.
CROSSROADS
LA DERNIERE CHANSON DE ROBERT JOHNSON
HERVE GAGNON
( Editions Hugo+Roman / Octobre 2021)
Le sous-titre est trompeur. Nos deux héros trouveront l’ultime chanson de Robert Johnson, relativement vite, avant la centième page pour un livre qui en compte 530, pas de panique, pas l’enregistrement, le texte. Vous me direz que ce n’est déjà pas mal, oui mais nous sommes dans un roman pas dans un livre-enquête, répétons-le, ce n’est pas le sujet. Mettez-vous à la place de l’auteur, il existe quelques biographes de Robert Johnson qui ont gratté jusqu’à l’os les rares éléments que l’on connaît de sa vie. L’on a beaucoup cherché et peu trouvé.
Le titre, bien plus que son sous-fifre nous met sur la voie. Le fameux carrefour où Robert aurait rencontré le diable. Vous pouvez ne pas croire à ce conte à consonnance faustienne, c’est d’ailleurs la thèse que défend Donald Kane, sa ( proximale ) compagne Virginia Craft non plus. Enfin pas exactement, elle est du Sud, il est des choses avec lesquelles il vaut mieux éviter de plaisanter, surtout avec le woodoo.
Avec ce mot nous tenons le bon bout. L’on a envie d’ajouter que l’auteur lui tient le mauvais. Hervé Gagnon n’a pas reculé devant la difficulté. Le livre se déroule donc sur deux niveaux, un roman policier dans la chaleur moite de Memphis, oui il pleut à Memphis mais des cadavres, nous voici embarqués dans un thriller des plus classiques, la curiosité est un vilain défaut, elle vous pousse à enfiler les chapitres les uns après les autres… Bref c’est palpitant toutefois si l’on suspend sa lecture de temps en temps pour faire le point, la piste sanglante s’avère une intrigue cousue de fil blanc. Enfin plutôt de fil bleu.
Quittons le monde des vivants pour celui des morts ou des mourants, la réalité rugueuse pour le monde des esprits. Pari gagnant peut-être pas, pari Gagnon sûrement. Au début c’est simple, quand vous êtes de l’autre côté les chapitres sont en italique. Au moins vous n’êtes pas obligés de prendre pour argent comptant ce que l’auteur vous raconte. Le problème c’est que les mondes parallèles c’est comme les rails de chemin de fer, si vous portez votre regard loin en avant ils finissent par se croiser. Ce n’est qu’une illusion d’optique certes, mais dans un roman il est nécessaire qu’ils finissent par se rencontrer, sans quoi l’intrigue perd tout son sel.
Désormais tout dépend de vous. Êtes-vous un mécréant ou acceptez-vous de jouer le rôle du lecteur crédule. A vous de choisir.
Reconnaissons à Hervé Gagnon d’avoir monté un scénario qui se tient, qui ne contredit en rien ce que nous connaissons de Robert Johnson, l’a ajouté une suite à la légende sans la dénaturer. Un vrai tour de force.
Damie Chad.
*
Parmi les amateurs qui ne voudrait pas d’un livre sur les pionniers du rock pas cher et écrit en français. Déjà l’on se bouscule au portillon. Je n’ai pas encore dit qu’il se trouve facilement, au pire vous le commandez chez un libraire et vous l’avez deux jours plus tard sans frais de port supplémentaire. Je suis prêt à parier que notre Cat Zengler qui possède une bibliothèque rock des mieux fournies en bouquins qu’il fait venir d’Angleterre et des Etats-Unis ne l’a pas. Je ne vous fais pas languir, inutile de vous brûler la cervelle d’impatience, je vous refile le tuyau, l’est tout simple, en plus un book à vertu pédagogique que vous pouvez mettre dans toutes les mains.
ROCK ‘N’ ROLL BABY
ELSA FOUQUIER
(Gallimard Jeunesse)
Soyons franc le texte d’accompagnement risque de vous décevoir, les illustrations me paraissent relever des poncifs les plus éculés, sinon tout le reste est sensass pour parler à la mode des années soixante. J’entends les grincheux rouspéter, si les illusses et le bla-bla ne sont pas géniaux… Bandes de rockers, vous oubliez donc que le rock c’est avant tout de la musique, or si vous ouvrez votre book et qu’à chaque double-page vous appuyez à l’endroit idoine et adéquat le bonheur vous assaille illico, jugez-en par vous-même: Tutti-Frutti, Rock around the clock, Great balls of fire, Blue suede shoes, Johnny B. Goode, Be bop a lula. Et attention pas interprétés par un combo de balloche ou des requins de studio sans âme, non les véritables enregistrements de Little Richard, Bill Haley, Elvis Presley, Chuck Berry, Gene Vincent. Pas in extenso, juste un extrait de trente secondes, ne faut pas lasser l’auditeur, l’est encore jeune, le livre est annoncé pour enfants de trois ans et plus, mais à partir de huit mois il fonctionne, j’en suis témoin.
Si vous êtes déçus c’est que vous êtes trop vieux. Un dernier conseil: attention il existe deux tirages de ce bouquin, l’un qui présente cinq pionniers, et l’autre qui a rajouté The Killer. Elsa Fouquier a dû penser que nos têtes blondes devaient apprendre à se défendre dans la vie, quel magnifique et exemplaire modèle que notre Jerry Lou! Born to be a Killer!
Damie Chad.
ROCKAMBOLESQUES
LES DOSSIERS SECRETS DU SSR
(Services secrets du rock 'n' roll)
Death, Sex and Rock’n’roll!
EPISODE 20 ( Dépuratif ):
99
Deux armoires à glace nous attendaient les fesses collées contre les portières de notre voiture. Devaient être pressées car à peine avions-nous posé nos pieds sur le seuil de la porte d’entrée de l’immeuble qu’ils sortirent leurs pétoires. Un sourire sardonique se dessina sur leurs lèvres, immédiatement suivi d’un hurlement de douleur. Deux balles de nos Rafalos leur déchiquetèrent le crâne. Molossa et Molossito sortirent de sous la voiture, battant de la queue, l’œil frétillant, nous les caressâmes pour leur intervention salvatrice sur le mollet de nos deux gros balourds.
_ Agent Chad, de retour au bureau, vous irez voler une autre teuf-teuf mobile, ces fragments d’os et de cervelle sur le toit donnent à notre véhicule un aspect négligé, l’honneur du service est en jeu!
100
Nous décampâmes au plus vite. Le Chef affichait un large sourire. A ma grande surprise il n’avait pas allumé un Coronado, il farfouillait dans ses poches:
_ Agent Chad, j’ai beau cherché, je m’aperçois que je n’ai pas de Splendido sur moi, une erreur dramatique, pensez-y jusqu’à la fin de votre vie, il est nécessaire d’avoir toujours sur soi un Splendido pour fêter les grandes victoires, tant pis je me contenterai d’un Coronado Virilus, faute de grives l’on mange des merles. Sur ce le Chef passa le reste du trajet à chantonner gaiement.
101
Le Chef descendait de la voiture, je ne quittai pas mon siège, m’apprêtant à partir voler un autre véhicule.
_ Agent Chad, vous remplirez votre mission tout à l’heure, nous avons besoin d’un urgent debriefing, il est nécessaire de battre le fer de la victoire tant qu’il est chaud!
_ Chef vous n’allez tout de même pas surnommer victoire la trop facile exécution des deux malfrats qui nous attendaient, l’on ne sait pas pourquoi à la sortie de notre visite à Madame Irma!
_ Agent Chad, je ne suis pas encore gâteux, au premier coup d’œil nos deux malandrins étaient vraisemblablement de la Maffia russe, je suis prêt à parier que c’est notre voyante extra lucide qui nous les a envoyés le temps que nous descendions nos huit étages sans ascenseur, belle joueuse cette Irma, elle vous donne l’explication que vous recherchez mais elle envoie ses tueurs pour vous ratatiner dans les cinq minutes qui suivent.
102
Lorsque nous nous assîmes au bureau, ma perplexité était à son comble, le Chef alluma un Splendido, un air de contentement amusé illuminait son visage:
_ Agent Chad, rappelez-nous comment a débuté cette affaire?
_ Hélas, Chef par la mort d’Alice, cette pure jeune fille…
_ Agent Chad, la passion amoureuse vous a rendu amnésique et égocentrique, nous avons tout d’abord passé une semaine à arpenter les allées du cimetière du Père Lachaise, sans savoir pourquoi.
_ Chef vous avez raison, d’ailleurs nous ne sommes pas plus avancés qu’au début, nous ne savons pas encore ce que vous cherchiez dans ce…
_ Agent Chad permettez-moi de vous arrêter dans votre manque total de discernement, maintenant nous savons, depuis exactement le moment où Mme Irma vous a demandé de lire le prénom Alice que vous aviez écrit sur la feuille!
J’étais abasourdi:
_ On cherchait donc Alice dans le cimetière alors qu’elle n’était pas encore morte!
_ Quelle imagination débordante, Agent Chad, arrêtez la rédaction de vos Mémoires, je vous verrai plutôt embrasser une carrière de romancier! Toutefois d’abord apprenez à lire, surtout tout ce qui est écrit sur une page. Prenons un exemple précis, si j’écris Alice sur une page, vous lisez Alice ce qui est parfaitement exact, mais lorsque vous êtes arrivé à la fin du mot, relisez-le en commençant par la fin, et vous verrez qu’Alice se lit ainsi Ecila! C’est pourtant vous lors de notre dernière réunion qui avez émis l’hypothèse de continuer notre enquête en faisant le contraire de ce que nous faisions d’une façon habituelle. Voyez-vous Agent Chad vous avez formulé le théorème, mais moi j’ai su l’appliquer. Action immédiate!
103
Jeans noir, Perfecto noir, lunettes noires, j’étais au point. Il y avait du monde sur le parvis de l’église. J’aime ces délicates missions dans lesquelles l’improvisation reste le seul mode opératoire possible. La célèbre formule de Jules César le résume parfaitement. Veni, Vidi, Vixi ; Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu. Je suis rentré dans l’Eglise, ai trempé mes doigts dans le bénitier, je suis ressorti d’un pas vif, tourné autour de la place tel un aigle noir tournoyant autour de sa proie innocente, et subitement me suis laissé tomber dessus et l’ai emportée avec moi, à la grande stupéfaction de tous les fidèles.
104
Une demi-heure plus tard je stoppai devant notre immeuble, sur le trottoir le Chef m’attendait Molossa et Molossito sagement assis à ses côtés:
_ Agent Chad, trente minutes pour dégotter un corbillard, je loue votre célérité!
_ Merci Chef, tant qu’à faire j’en ai pris un avec le cadavre dedans!
_ Vous avez eu raison, Agent Chad, un corbillard sans macchabée, c’est comme chez les familles pauvres ces enfants qui possèdent une tirelire sans un centime à l’intérieur, cela me glace le cœur rien que d’y penser, heureusement que la vie nous réserve de temps en temps de plaisantes opportunités, ainsi nous allons avoir la chance de visiter le Père Lachaise en corbillard alors que nous sommes vivants, un tour de force que bien des morts qui nous verront passer du fond de leurs tombes nous envieront.
_ Oui Chef, ce sera moins pénible et plus rapide que nos premières infinies pérégrinations du début de cette affaire!
Je conduisis rapidement m’amusant à couper la priorité aux carrefours dangereux:
_ Agent Chad, nous longeons le Mur des Fédérés, ah si chacun des fusillés avaient eu un Rafalos en poche la Commune aurait triomphé et la face du monde en aurait été changée, quel gâchis! Voici l’entrée, tournez ici et entrez l’air de rien, prenez la grande allée et roulez doucement, je m’occupe des tombes du côté droit et vous du côté gauche.
Cela faisait trois grandes heures que nous suivions les allées une par une sans résultat notable. A un croisement nous fûmes obligés de nous arrêter car l’on procédait à un enterrement. Curieux et attentifs Molossa et Molossito en profitèrent pour coller leur museau à la vitre entrouverte par laquelle s’échappait la fumée du Coronado du Chef, des enfants éplorés qui accompagnaient leur père à sa dernière demeure les aperçurent et sourirent:
_ Maman, regarde les chiens comme ils sont beaux, puisque Papa ne sera plus là, on pourra en acheter un pour le remplacer, dis oui Maman!
_ Oui, mes chéris, cela nous aidera à adoucir notre chagrin!
_ Mais Maman comme on aura un chien, on n’aura plus de chagrin!
Cette scénette innocente était trop poignante, pour cacher son émotion le Chef alluma sans y penser un Espuantoso. La mère qui étreignait une dernière fois le cercueil de son mari, ne put se retenir:
_ Quelle horreur! quelle puanteur, c’est atroce!
Un cri vindicatif fusa dans le cortège:
_ C’est le croque-mort qui fume dans la camionnette!
Il y eut un oh! scandalisé qui monta de la foule amassée autour de la tombe.
Le Chef descendit dignement et se porta près du cercueil:
_ N’ayez crainte, cette odeur forte, j’en conviens, est un fumigène, il peut paraître agressif, mais il a le don d’éloigner les guêpes qui cette année sont particulièrement nombreuses et piquantes, c’est pour votre sécurité et votre tranquillité que la Direction du cimetière utilise ce produit, issu de l’agriculture biologique et non toxique, car s’il éloigne ces insectes il ne les tue pas et a en outre la particularité de faire baisser l’empreinte carbone de ce lieu de recueillement.
Le Chef fut vivement remercié et applaudi, trois militants écologiques exigèrent un autographe… Je me retournai pour cacher mes sourires, mes yeux se portèrent au loin, distraitement je déchiffrai les noms inscrits sur les tombes, la blancheur d’un marbre attira mon regard, une grande dalle pratiquement posée à ras de terre, pas de croix, pas de fleurs, rien, si une inscription en majuscules d’or: ECILA.
A suivre.
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L’avenir du rock - Ice cream for Crows
Quand il sent qu’il peut baisser sa garde, l’avenir du rock avoue volontiers qu’il n’a pas toujours eu la vie facile. N’importe qui à sa place s’épuiserait à vouloir défendre une idée aussi saugrenue que celle de l’avenir du rock, mais, n’étant qu’un concept, il doit impérativement se garder de trahir les idées qui fondent son existence, sinon il se périme. Pour mieux combattre ses hantises, il tente d’en faire ses alliées. Le temps qui passe ? On peut faire dire n’importe quoi au temps qui passe. L’avenir du rock n’aura aucun mal à se convaincre que le temps qui passe joue en sa faveur, et plus le temps passe, plus son architecture mentale se renforce. Et puis le rock n’est-il pas à l’image du cycle éternel de la nature, des groupes meurent et des groupes naissent, comme dans les images de Georges Rouquier ou d’Eisenstein, qui surent en leur temps filmer la renaissance de la vie au printemps ? Et puis n’est-il pas sain de dresser des autels pour célébrer tous ces cassages de pipes ? N’est-ce pas là l’occasion de montrer que le rock est un art qui transcende la notion même de mort ? Si on réfléchit cinq minutes, on constate que la mort n’est autre qu’une notion étriquée héritée des basses œuvres d’une Église Catholique qui détourna, comme le fit le Stalinisme, les notions fondamentales de partage et de renaissance pour mieux les trahir. Tant qu’il reste sur le terrain des idées, l’avenir du rock sait pouvoir tenir son cap et cultiver les prospectives. Par contre, il sait que le principal ennemi de l’universalisme spontanéïforme du rock, ce sont les médias et toutes ces couches numériques qui semblent vouloir promouvoir la médiocrité et, pire encore, semblent gagner jour après jour du terrain, pareilles à la gangrène qui ravage, dans un concert montant de pus et de puanteurs, le corps d’un matelot démembré lors de l’abordage. L’avenir du rock sait pertinemment que la qualité des grands artistes ne peut rien contre cette gangrène. Alors, il sait qu’il va devoir redoubler de vigilance et d’efforts. Assis près de sa fenêtre, il voit le spectre de la médiocrité numérique planer dans la nuit étoilée. Sous une grande cape noire, ce crâne de mort sourit de ses trente-deux dents semblables à trente-deux smartphones. Alors, bouleversé par le spectacle de cette horrible caricature, l’avenir du rock se dresse, brandit son verre de rhum et lance d’une voix forte : «Tant que j’aurai les Crows, t’auras pas ma peau !».
On ne dit pas les Crows, mais Crows. Ils ne sortent ni de la cuisse de Jupiter ni de celle de Captain Beefheart, ils sont tout simplement basés à Londres et comme tant d’autres - on peut citer Idles, Fontaine D.C., Yard Act - ils partent en quête du Graal. Tagada tagada. C’est bien que des petits mecs se prennent encore pour Lancelot du Lac. C’est bien que des petits mecs osent encore monter sur scène pour faire de l’art moderne. Crows s’apparente à cette vague post-punk que Gildas appelait la post et qu’il ne supportait pas. Il en va de même pour la plupart des amateurs de gaga. La messe de la post est dite depuis super-belle lurette, mais peu importe, la fête continue, enfin, si on peut parler de fête. Les gens de la post ne font généralement rien pour être aimables, ils optent pour un son agressif et insistent lourdement pour dire qu’ils ne vont pas bien. Ils poussent le bouchon du no future dans les orties, histoire de bien l’agacer, et dans leurs cervelles attaquées par des jus acides, le mot ‘mélodie’ résonne comme un blasphème.
Voilà que Crows débarque en Normandie. Tu sens tout de suite la présence des Anglais : scène dégagée, trois micros devant, Gibson Firebird noire et blanche. Même si ce n’est pas ton son, tu es tout de suite plongé dans le bain quand tu vois le guitariste arriver et envoyer sans crier gare ses première rasades de buzzsaw dévastateur. Il s’appelle Steve Goddard et il gratte comme un démon échappé de Boleskine House, il hante littéralement le son qu’il produit en continu. Il fait littéralement le show en s’auto-hantant. On a souvent vu des guitaristes faire le show dans des groupes pas très connus, mais celui-ci est un spécimen à part. Il reste extrêmement concentré, incroyablement actif, comme atteint d’hyperactivité convulsive, sous un air débonnaire de gros nounours, il perfore et il colmate en même temps, il orchestre des chapes de plomb et plombe ses chops, il déborde comme le lait sur le feu et il rabaisse le caquet du son avec l’inexorabilité d’un laminoir, il monte en neige et creuse des abîmes, il dessine des crêtes et repeint sauvagement l’horizon, on voit rarement des guitaristes créer autant de phénomènes astrophysiques en bougeant si peu les doigts, il fait même assez peu d’accords, il pince les deux cordes du milieu puis il monte et descend sur le manche, il crée des effets surprenants, il fond le son et glace l’atmosphère, il va d’un extrême à l’autre et grattant comme dix, car il n’arrête jamais son balayage infernal, les cordes de la Firebird tiennent bien le choc, car il faut voir les dégelées qu’il leur administre, les rouées de coups qu’il leur inflige, la Firebird devrait porter plainte, c’est un jeu très physique, incroyablement brutal, un jeu cruel qui s’enracine dans le wild punk craze, voilà bien toute la magie des groupes anglais, on peut faire la fine bouche sur la post et dire d’un air évaporé, «Oh ce n’est pas ma câââme», il n’empêche que Steve Goddard te claque un sacré beignet. Tout le buzz de Crows repose sur ses épaules, il assume bien son rôle, il fait plaisir à voir, on se sent bien au pied d’un tel guitariste. Il gratte tout ce qu’il peut pendant une heure, il bâtit des cathédrales dans une nuit éclairée par les flammes, il jette des câbles pour aller funambuler au-dessus du néant, il fait son Jonas et s’arrache du ventre de la baleine, il s’évade de sa cage comme le fit Houdini, il défie le Kremlin comme l’osa Kundera, il frappe comme Thor sur son enclume, il boom-badabooome comme dix Grosses Berthas, il scie des forêts entières et avale sa progéniture, comme le fit Saturne en son temps.
Et puis tu as le chanteur, James Cox. Grand, brun, athlétique, il se donne des faux airs de va-pas-bien et plonge parfois son regard de fou dangereux dans ceux des gens du premier rang, histoire de les épouvanter, mais on voit bien qu’au fond il n’est pas méchant. D’ailleurs il remercie les gens d’être sortis par ce froid de canard. C’est drôle, ça nous rappelle une soirée au Nouveau Casino, en 2003, il devait y avoir tout au plus dans la salle dix personnes venues voir Brian Auger, qui lui aussi remerciait les gens d’avoir bougé leur cul au cœur d’un terrible hiver. James Cox chante parfois avec des faux airs de John Lydon, oh ce n’est pas qu’il n’en ait pas les moyens, mais ça le crédibilise d’essayer. En tous les cas, il a beaucoup de chance de pouvoir s’appuyer sur un Steve Goddard qui fait encore plus de ravages que tous les orgues de Staline déployés sur le front russe en 1943.
Leur premier album s’appelle Silver Tongues. Avec les groupes qu’on ne connaît pas, on craint toujours le décalage entre la scène et le studio.
L’usage veut qu’un groupe soit plus intense sur scène. On peut écouter Silver Tongues sans crainte : l’album est excellent. Ils démarrent sur le big atmosphérix du morceau titre et te replantent le décor du concert : l’heavy dump te tombe sur l’haricot, Steve Goddard déclenche l’enfer sur la terre, il explose le barrage contre le Pacifique, il noie le spectre de son à coups de Firebird. Ça sent bon le napalm. Ils font du big heavy abattage, du wild as fuck, tu ne peux pas résister à une telle marée. Leur truc, c’est l’invasion des continents. Goddard gorge chaque cut de son. En studio, Crows convainc autant que sur scène. Leur «Wednesday’s Child» est violemment bon, Goddard navigue dans la tempête, c’est extrêmement bien balancé. Belle énormité que ce «Hang Me High», Eole Goddard souffle des vents d’Ouest et pique ensuite une belle crise de heavyness avec «Crawling». Ces quatre petits mecs développent une rare ferveur de rockalama fa fa fa, les montées sont brutales et les descentes spectaculaires, c’est un mix surnaturel de big atmospherix et de dynamiques de Crows. Power absolu ! Leur intégrité impressionne. Ils passent leur temps à lever des tempêtes. Dans «Tired & Failed», Alex Cox est vite rejoint par la cavalerie. Il a un sens aigu de la harangue. Crows est un groupe magnifique, ces gens-là maîtrisent bien les grosses ambiances. Leur son se savoure, surtout les lampées incendiaires de Steve Goddard. Avec «First Light/False Face», on approche de la fin. C’est encore un cut heavy et vraiment bien foutu. Ils sont dans un son qui leur appartient, fabuleusement embarqué, absolument déterminant. Le petit dernier s’appelle «Dysphonia» et t’envoie valdinguer dans des horizons demented. Le son sature l’écho des tombes. Ils sont le futur du no future.
Leur deuxième album s’appelle Beware Believers et sort sous une pochette aussi ésotérique que celle du premier album. On croit voir des beaux motifs de tatouages, avec quelques clins d’œil surréalistes. L’album vaut de déplacement, même s’il n’est pas aussi intense que le précédent. Ils démarrent avec un «Closer Still» tapé au carré d’as et quasiment stoogy. Le beat est si dur qu’il rebondit, ici, on ne mégote pas avec la marchandise, c’est du stomp à l’anglaise et c’est pulvérisé en plein gloire. Mais dès le cut suivant, on note une profonde transformation du mix : James Cox est au-devant et Steve Goddard dans le fond. Alors ça vire post-punk. Steve Goddard n’aurait jamais dû accepter d’être répudié. On perd le jus primal de Crows, même si ça reste du Big Atmospherix. Steve Goddard se cantonne dans son rôle d’essaim d’acier et les dynamiques d’«Only Time» sont fabuleuses. Ils se débrouillent toujours pour tarpouiner un biz de cathédrale, mais le son est trop canalisé. Ils frisent même parfois le U2. On commence à zapper des cuts, ce qui est très mauvais signe. Le mix mise trop sur le chant, mais ce n’est pas le chant qui fait le son de Crows, on était bien placé pour le savoir, l’autre soir. Cette fois ils virent trop Joy Division, ça devient trop prévisible. «Room 156» sonne comme une catastrophe, ils perdent leur power, ils sont en panne au bord de la route. Il faut attendre «Meanwhile» pour renouer avec l’abattage. Ils sonnent même comme Oasis et ça explose enfin. On est là pour ça, pour les explosions. Le final somptueux de «Meanwhile» nous réconcilie avec la vie et ça repart de plus belle avec «Wild Eyed And Loathsome», pus jus de Big Atmospherix, les descentes t’enflamment l’imagination, ils font du wild turn around explosé à la jugulaire. Tu en prends encore plein la barbe avec «The Servant», on croit voir une horde barbare cavaler à travers la plaine, et ils atteignent enfin la démesure avec «Sad Lad». Quelle dégelée ! Tu assistes en direct à la chute de l’Empire Romain. Ce Sad Lad est tellement gorgé de son qu’il en devient vénéneux, le son te ronge, le son te rattlesnake le snook, t’es baisé, et l’autre fou de James Cox chante dans une mare de venin sonique, c’est du jamais vu, mais tu t’en fous, au point où tu en es, le jus de son te coule dessus, c’est une sensation atrocement bonne, atrocement permanente, Steve Goddard est un mage puissant, il transmute la Soul malade de Crows, il fait du pur Technicolor, sa guitare te crève le paradigme et tu bascules dans un au-delà du revienzy, tu ne sais même plus s’il fait bon vivre ou mourir, tu t’annihiles entre deux eaux qui sont probablement les eaux glauques de la dégénérescence.
Signé : Cazengler, Crow con
Crows. Le 106. Rouen (76). 9 février 2023
Crows. Silver Tongues. Balley Records 2019
Crows. Beware Believers. Bad Vibration Recordings 2022
Jac of all trades- Part Two
Dans son gros pavé - Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label - Mick Houghton rappelle que Jac Holzman consterna ses collaborateurs en ramenant les Stooges et le MC5 chez Elektra. Mais ils se racheta à leurs yeux en signant un gang de sessionmen qui allaient devenir Bread. Une façon comme une autre de passer d’un extrême à l’autre. Certains pourront reprocher à Jac une certaine forme de versatilité. Mais ce serait une erreur. Jac ne fait que revenir à ses préférences, la friendly pop et le gentle folk. Pour les Stooges et le MC5, il s’en remettait à Danny Fields. Il s’agissait d’une preuve de confiance, ce qui est tout à son honneur.
Jac avoue un faible pour David Gates et le premier album de Bread : «I loved the first album, but Crosby Stills & Nash had come out two weeks earlier and were all the rage. Au plus profond de moi, je savais que si on continuait de les enregistrer, the hit singles would emerge.» Jac n’était pas le seul à penser le plus grand bien de Bread. Lester Bangs nous dit l’Houghton comparait Bread aux Beatles, aux Byrds, aux Bee Gees et à Buffalo Springfield. Le premier album de Bread qui s’appelle Bread paraît donc en 1969. Pas de miche sur la pochette, ouf. Les boulangers viendront plus tard, au dos de la pochette du troisième album. En 1969, les Bread sont trois et le boss s’appelle David Gates, c’est lui le surdoué de service qu’a repéré Jac. Attention, il ne se passe pas grand-chose dans ce bel album Elektra. On ne sauve qu’un titre, «Could I» où Gates se prend pour les Beatles, il va chercher le fameux unisson du saucisson, c’est très anglais comme son, my son. On se croirait sur le White Album. On voudrait bien en pincer pour «Move Over», mais ça ne marche pas. Cette pop est trop pleine de bonnes intentions. Avec «It Don’t Matter To Me», Gates se prend vraiment pour John Lennon. C’est fin, très bien chanté, orchestré à outrance, bien ancré dans l’écho du temps. Il reste dans une ambiance de belle pop anglaise avec «Friends And Lovers», le groove sonne incroyablement juste, on pense encore aux Zombies ou aux Beatles car c’est d’une qualité et d’une ambition typiquement anglaises. Comme avec Michael Chapman, c’est en arrivant à la fin de l’album qu’on réalise à quel point c’est bien foutu.
De la même façon que les autres albums de Bread, On The Waters n’est pas l’album du siècle. Il faut commencer par trier pour n’écouter que les compos du petit Gates, comme par exemple «Make It With You», belle giclée intimiste. De toute évidence, le petit Gates vise la pureté mélodique. Par contre, les cuts plus musclés ne sont pas bons. Berk. Le «Been Too Long On The Road» qui boucle le balda est assez fin, même quasi Buffalo Springfield. En B, on sauve «I Want You With Me», un balladif swingué qui sent bon le soleil. Ces mecs-là sont en bonne santé, bien bronzés, ils chantent au doux du doux.
Les Bread tournent au rythme d’un album par an et de deux merveilles par album. C’est déjà pas mal. Pour enregistrer Manna, ils sont quatre. La merveille s’appelle «Too Much Love», petit balladif de rêve. On peut même parler de pop lumineuse. Ils font aussi du gros rock américain de type Bachman Turner («Let Your Love Go») et ils sonneraient presque comme Steppenwolf sur «Take Comfort». Les harmonies vocales d’«He’s A Good Lad» sont celles d’«All You Need Is Love». En B, on voit le petit Gates flotter dans l’azur immaculé : il n’est jamais loin des Beatles, comme le montre encore «What A Change». Par contre, le trop musclé de «Truckin’» ne leur va pas du tout, mais alors pas du tout.
Guitar Man arrive en 1972 avec sa pochette friendly bien dessinée. Le petit Gates fait merveille dans le morceau titre avec son talent fin et discret à la Paul Simon, même approche de la douceur de vivre et du vieux précepte de Gide à propos de la chose regardée. Avec «Sweet Surrender», on voit bien que le petit Gates a un tour de main particulier. Il sait se rendre indispensable de temps en temps, il approche d’une mélodie avec l’air de rien et le charme opère sans qu’on ne lui ait rien demandé. Alors on fait comme le petit Gates le prescrit, on surrender. C’est en B qu’on retrouve son côté anglais avec «Yours For Life», cette belle façon de chanter perché dans l’harmonie. Il est bien le petit Gates. Pour être tout à fait franc, on ne l’écoute que par respect pour Jac.
Son plus gros hit se trouve sur Baby I’m-A Want You : «Everything I Own». Pure magie - I’ll give you everything I own/ Just to have you back again - Il la supplie de revenir au bercail. Jac avait raison de miser sur le petit Gates, car voilà de la grande pop américaine, sans doute le cut qu’il faut emmener sur l’île déserte - Just to touch once again - En B, il se montre plus ambitieux avec «Dream Lady», il ramène des vieux solos d’orgue et de guitare. Il termine avec un «Just Like Yesterday» ultra-violonné, puis un heavy boogie sans aucune originalité («I Don’t Love You»). C’est d’ailleurs l’originalité qui leur fait le plus défaut. Le petit Gates et ses amis sont très conventionnels. À cause de Jac, on attend d’eux des éclairs.
Zéro éclair sur Lost Without Your Love, leur ultime album Elektra. Le petit Gates est un séducteur, il chante son «Hooked On You» au fondant de chèvre chaud. Ces quatre mecs sont contents : au dos de la pochette, on les voit rigoler au soleil. Ce que confirme «She’s The Only One», une belle pop californienne pleine d’allure et de joie de vivre. Sur l’album, tout est traité sur le même modèle, celui de la romantica d’Elektra («Lost Without Your Love») ou de la pop ambitieuse («Fly Away»). En B, ils passent au boogie rock avec «Lay Your Money Down», ils se montrent capables de rockalama avec du son, ils flirtent à la fois avec Little Feat et les Status Quo. «The Chosen One» sent bon le confort moderne et la lumière californienne. Real good time music avec «Hold Tight», idéal pour un mec souriant comme le petit Gates.
Le succès de Bread nous dit Houghton pava le chemin vers Carly Simon et Harry Chapin dans les années 70, «two exceptionnal songwriters qui au plan stylistique, allaient à contre-courant des tendances de l’époque et qui incarnaient le genre d’artistes doués et intelligents qu’Holzman attirait et admirait tant.»
Phil Ochs fait partie lui aussi du vivier Elektra. Houghton s’étend longuement sur l’Ochs, le décrivant comme le rival de Dylan. Il fait parler Jac à ce propos : «Phil admirait l’extraordinaire imagination et les qualités d’écriture de Dylan et ça le mettait en colère de ne pas pouvoir l’égaler. Le plus ennuyeux c’est que Dylan n’éprouvait aucun sentiment de rivalité avec quiconque. Il se savait sur un nuage, loin au-dessus des mesquineries.» Pour l’Houghton, Phil Ochs était l’un des meilleurs songwriters du Village, «un vrai agitateur politique qui écrivait des chansons passionnées à propos des vrais gens et d’événements réels.»
Le premier album qu’enregistre Phil Ochs en 1964 sur Elektra s’appelle All The News That’s Fit To Sing. Il est enragé, mais on s’aperçoit très vite qu’il n’est pas Dylan. Il gratte tout ce qu’il peut, c’est un bon artisan du protest. Il n’y a que ça qui l’intéresse, le protest. Mais comme chacun sait, le protest vieillit mal. Désolé, Phil, mais on s’ennuie comme des rats morts. De la même façon que Dylan, il rend hommage à Woody Guthrie avec «Power & The Glory» et «Bound For Glory». Quand il se calme, il tape des petites ritournelles comme «Celia», mais il n’a pas les mélodies. Il gratte ses poux tout seul et ne parvient pas à passionner. Vers la fin, il s’en prend au free world, Cuba et la CIA dans «Ballad Of William Worthy». C’est dans le combat contre l’injustice qu’il est le meilleur, par exemple avec «Too Many Martyrs» - His colour was his crime - Il évoque les lynchages
Paru l’année suivante, I Ain’t Marching Anymore est un album nettement supérieur. Phil fait son protest à la force du poignet, le morceau titre d’ouverture de balda est brillant. Il finit par convaincre avec «That’s What I Want To Hear». Il fait encore autorité avec «Iron Lady», il surplombe son protest et bascule dans l’Americana avec «The Highwayman» - And the highwayman came riding - Phil devient le storyteller de tes rêves les plus inavouables - The highwayman came riding/ Riding - Il met toute son énergie dans «Links On The Chain» et ça devient énorme. Mais c’est avec l’extraordinaire «Here’s To The State Of Mississippi» qu’il entre dans la cour des très grands. C’est un réquisitoire contre l’état le plus raciste d’Amérique - Mississippi/ Find yourself another country to be part of - Il les prend un par un : the people of Mississippi (Oh, they smile and shrug their shoulders at the murder of a man), the schools of Mississippi (And every single classroom is a factory of despair), the cops of Mississippi (And behind their broken badges there are murderers and more), the judges of Mississippi (When the black man stands accused the trial is always short), the laws of Mississippi (Yes, corruption can be classic in the Mississippi way), the churches of Mississippi (Oh, the fallen face of Jesus is choking in the dust/ And heaven only knows in which God they can trust). Il rejoint Dylan au firmament de la chanson politique. Alors on félicite Jac d’avoir fait paraître un tel album.
L’Houghton soulève un truc bizarre : dans le film que Scorsese consacre à Dylan, il n’est fait mention nulle part de Phil Ochs. Alors l’Houghton livre son interprétation : «Il est clair à mes yeux que Phil avait une réelle influence sur Bob. Sa rage et son courage sautaient aux yeux.» Van Dyke Parks voit en l’Ochs le vrai incorruptible : personne ne pouvait l’acheter - For me he was the pole star of the counter culture, because he was incorruptible and beyond purchase.
Ses chansons ne baissèrent jamais en qualité, même si en 1967, il abandonna le folk pour enregistrer chez A&M quatre extraordinaires albums de pop iconoclaste et expérimentale, qui comme Ochs lui-même, n’étaient pas du tout adaptés au monde qui l’entourait.
L’un des albums préférés de P.F. Sloan est celui que Phil Ochs enregistra en 1967, Pleasures Of The Harbor. La pochette est un peu foireuse, mais Sloan a raison, il y a des moments de grâce sur cet album. Pas de hit, mais des moments de grâce, c’est déjà pas mal. On s’amourache de la voix d’Ochs en écoutant «Flower Lady» : il part à la recherche du beau. Mais en même temps, il alambique un peu les choses. Son drame c’est de faire des chansons qui ne sont pas des hits, à la différence de Sloan et de Fred Neil, que Sloan cite aussi en référence. Sur «I’ve Had Her», l’Ochs a de faux accents de Donovan, et les flûtes s’en mêlent. Who needs an American Donavan ? L’album se réveille en fin de balda avec «Miranda» - She’s a Rudoph Valentino fan - et ses trompettes de dixieland, alors un doux parfum de nostalgie fait dresser l’oreille. La B offre ses petits moments de grâce avec «The Party» où l’on entend le thème de piano de «Smoke Gets In Your Eyes». Ça part en mode Ochs et ça devient captivant, avec une stand-up en contrepoint. Sloan a raison, on finit par se faire avoir. Le morceau titre ne fonctionne pas, malgré tous les violons du monde. L’Ochs termine avec «The Crucifixion», une chanson extrêmement ambitieuse, peut-être même trop ambitieuse. L’ambition est une discipline difficile. Il faut savoir s’en donner les moyens.
On s’ennuie un peu sur Tape From California paru en 1968. Dommage, car la pochette est belle, mais Phil sonne trop bucolique, trop agneau innocent. Il reste pendant toute l’A dans son vieux schéma protest-song à la mormoille. Quand ce n’est pas ton son, ce n’est pas ton son. Son «Joe Hill» n’est même pas celui de Joan Baez, c’est du pur jus de folky-folkah. Et puis voilà le coup de génie en B : «When In Rome». Il tente le coup du Big Atmospherix en alternant les climats légers et les climats lourds de conséquences, il injecte enfin un pur jus de mélodie chant et il monte au sommet de son lard. Quel dommage que les autres compos ne soient pas de ce niveau. Le voilà grimpé au sommet de l’Ararat, il excelle dans l’élévation, il devient élégiaque et puissant - When in Rome/ Do as the Romans do - Il a même de faux accents dylanesques au plus fort du raz-de-marée. Le voilà donc sorti du format Protest. Ouf !
L’Houghton revient aussi longuement sur le fameux Greatest Hits de 1970 qui n’est pas un Greatest Hits. Sur la pochette, l’Ochs porte un costume lamé de Nudie, comme celui que portait Elvis. A&M met le paquet, car l’album est produit par Van Dyke Parks, avec en backing Clydie King et Merry Clayton. Superbe ambiance et ce dès «One Way Ticket Home». Phil fait un peu de country («My Kingdom For A Car») et de folk anglais («Boy In Ohio») puis en B du rock’n’roll avec des accents country («Basket In The Pool») et retour à la country pure avec «Chords Of Fame» qu’il chante avec une fière allure. «No More Song» est le cut prophétique, puisqu’il s’agit du dernier album de Phil Ochs qui va aller ensuite se pendre chez sa frangine.
Autre figure de proue d’Elektra : Lonnie Mack, un peu absent de l’autobio de Jac mais salué comme il faut par l’Houghton dans son pavé. Russ Miller raconte qu’un soir Lonnie Mack s’est pointé chez lui avec deux albums sous le bras. Il dit à Russ : «Put your ears between those speakers and smoke one of these and don’t say anything.» Russ : «Le premier album était un album de Roberta Flack. I freaked. Le deuxième, un album du Nashville singer-songwriter Mickey Newbury qui m’a tellement bouleversé que j’ai pleuré.»
Jac voyait Mack comme un artiste fascinant : «En l’enregistrant, on suivait une tradition, mais une tradition différente de celle qu’on avait suivie chez Elektra. Lonnie avait enregistré des singles pour the R&B and pop market et on a essayé d’en faire un album artist. He had a terrific voice, but people wanted to hear him play fast guitar.»
Glad I’m In The Band est le premier des trois albums qu’il enregistre sur Elektra. Attention, c’est un gros disque! Quelques énormités se nichent sur cet album, à commencer par «Why» que Lonnie chante au guttural, mais un guttural un peu spécial qui est celui de l’homme qui parvient à braire à force de souffrir. On sent chez lui le Soul brother blanc de haut rang, le même genre de carcasse que Greg Dulli. Il sait aller chercher le raclement de gorge impavide. Et puis c’est un guitariste vraiment hors du commun. Avec «Save Your Money», il nous sort une belle pièce de white r’n’b. On en arrive aux choses sérieuses avec «Too Much Trouble», un blues-rock monstrueux, monté sur un énorme bassmatic. Quand Lonnie part en solo, il peut atteindre les limites de la démence. Il joue comme un punk au doigt tremblant. En B, on retrouve une version de «Memphis». What a version, my friend! Lonnie la ravage d’un solo en vrille. On comprend qu’il ait pu fasciner Duane Allman et Jeff Beck. Et voilà «Roberta», une grosse praline de boogie blues. Lonnie y balance un solo infernal. Il est probablement l’un des guitaristes les plus fulgurants de l’histoire du rock. Les autres cuts sont de la Soul blanche. Lonnie va chercher en lui les ressources pour pondre le meilleur le mélopif cuivré du Midwest.
Avec Whatever’s Right paru en 1969, on est au cœur du groove. Lonnie attaque avec un «Untouched By Human Love» embourbé dans le meilleur mud, avec des rafales de Flying V en fond de toile. C’est l’une des plus belles pioches de blues-rock américain. Tim Drummond joue un bassmatic de grand chef. Voilà un cut digne des grandes heures d’Albert King. Mack tape dans Bobby Womack et reprend «I Found A Love». Il adore chanter comme James Carr, à la glotte tremblée et la lippe tendue vers l’inaccessible étoile. Le cut est bon, car il est signé Bobby Fricotin. Et Lonnie envoie des gros coups de Flying V dans le gras du lard fumant. Il revient au boogie traditionnel avec «Share Your Love With Me». Ça swingue! Ah pour ça, on peut lui faire confiance. Et on entend les jolis chœurs des Sherlie Matthews Singers. Il prend un beau solo au timbre fêlé d’oxyde et nous offre un final hurlé à la yah yah. Fulgurant! Il reprend aussi le fameux «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed avec une belle agressivité. Il envoie de jolies rincettes de distorse et chante comme le dieu du boogie, avec un brin de salive sur la glotte. En B, on tombe sur un «Mr Healthy Blues» digne de Roy Buchanan, un blues extraverti sevré de guitare et monté au bass boom de Tim Drummond. Mack envoie un solo languide qui s’en vient couler au long du twelve bar-bu avec une sacrée classe. Son blues est gorgé de son et de talent. Il fait aussi une version du «My Babe» de Big Dix et la farcit d’un solo de punk. Mack est le killer du Nevada. Il suffit de voir sa photo au dos de la pochette. Il fout un peu la trouille.
On passe au bucolic avec The Hills Of Indiana paru en 1971. Lonnie se retire du circuit et reste assis contre un arbre pour observer sa vallée à longueur de journée. L’album se veut à la fois calme et beau. Le seul cut un peu remuant est le premier, «Asphalt Outlaw Hero», enregistré à Muscle Shoals et qui par son côté foisonnant et sa chaleur de fournaise semble porter la marque du diable. Les beaux cuts se nichent en B: «Rings», balladif groovy et lumineux, et puis «The Man In Me», balladif de haut vol qui sent bon l’intégrité. On sent à l’écoute du cut que Lonnie Mack n’est pas un baltringue. On note aussi la présence de Don Nix sur les deux derniers titres de la B: il joue du sax sur «All Good Things Will Come To Pass» et toute l’équipe de Muscle Shoals se regroupe derrière Lonnie. Don Nix chante le dernier cut, «Three Angels» qui est en fait une sorte de gospel blanc.
Russ Miller rassemblait des musiciens, à Memphis et à Muscle Shoals, Don Nix et Martin Greene. L’Houghton nous raconte cet extraordinaire épisode : «Lonnie Mack devait diriger a funky music extravaganza, a knock-down version of Mad Dogs & Englishmen, but without the superstar razzmatazz. Dans le groupe, il y avait le groupe de Lonnie, a Muscle Shoals band, Don Nix, and Marlin and Jeanie Greene, all under the banner The Alabama State Troupers With The Mount Zion Choir & Band. Mack disparu six jours avant le commencement de la tournée. Miller réussit à le retrouver. Il s’était planqué dans une ferme, au fond d’une forêt du Kentucky. Mack refusait de faire la tournée. Dans un rêve, le diable l’avait menacé lui et sa famille, et en se réveillant il avait trouvé sa bible ouverte sur le passage : ‘Flee ye from Mount Zion.’ C’est Furry Lewis qui fut engagé pour le remplacer et le double album ‘Road Show - The Alabama State Troupers’ est paru sur Elektra.»
Don Nix monte les Alabama State Troupers avec Tarp Tarrant, le batteur qui a joué 13 ans pour Jerry Lee, Clayton Ivey aux keyboards, Wayne Perkins et Tippy Armstrong aux guitares. Il ajoute un deuxième batteur, Fred Prouty, qui jouait chez Rick Hall, et Brenda Patterson aux backing vocals - It was a hell of a band - Pour la photo, ils posent tous devant une église baptiste. Comme l’écriteau indiquait «The Mount Zion Middle Baptist Church», il baptise le groupe The Alabama State Troupers With The Mount Zion Band And Choir. Le double album paraît en 1972. Attention, ce n’est pas un album facile. Don Nix propose en effet un capiteux mélange de country blues et de gospel, qui sont pour lui les racines du Memphis Sound. On entend donc Furry Lewis sur une face entière. Ce vétéran du Beale Street Sound joue fin et claque des petits coups de bottleneck. On l’ovationne. L’homme est d’une extraordinaire gentillesse - Hank you - Il chante le blues traditionnel des années vingt - And I went to the gypsy/ To get my hambone done - et il se moque gentiment des racistes dans «I’m Black» - Some people don’t like that colour/ But I sure like mine - On se régale de cette leçon de country-blues et de cette diction à l’ancienne. En D, on tombe sur une série de boogies ‘sudistes’. On y entend ce démon de Tarp battre le beurre et Brenda Patterson chante dans les chœurs de Zion. C’est du gros boogie rock seventies surchargé de chœurs de Zion. On se croirait chez Leon Russell. Par contre, Don Nix commet une erreur : il met en avant Jeanie Greene pour chanter le gospel rock de «My Father’s House» et ça ne marche pas du tout, mais alors pas du tout. On sent les limites de la voix blanche. Jeanie n’a pas l’allant d’une Mavis. On trouve encore du gospel en B, notamment ce vieux classique repris par les Staples, «Will The Circle Be Unbroken». Don Nix respecte bien les fondamentaux du Memphis Sound System, malheureusement, c’est lui qui chante, et pour chanter le gospel batch, il vaut mieux disposer d’une vraie voix. Et quand Jeanie Greene reprend le lead dans «Mighty Time», même chose, elle se vautre. Il lui manque deux choses essentielles : le groove et la Soul. Brenda est un peu plus wild, comme on le constate à l’écoute de «Jesus On The Main Line». Elle s’énerve toute seule et cherche à incendier la plaine, mais tout le monde n’est pas Bonnie Bramlett. Voilà enfin un hit en B : «Yes I Do Understand», un gospel batch poppy joliment amené par la joyeuse assemblée. Excellent ! Et puis en C, Don Nix s’en va chevaucher dans la Sierra. S’ensuit un peu plus loin «Heavy Makes You Happy», un boogie-rock encore une fois digne de Tonton Leon. Ça sent bon la grosse équipe, le surnombre et les vétérans de toutes les guerres. Nix termine avec «Iuka», un gros boogie blues dans l’esprit de ce que faisait Johnny Winter. Nix y va au guttural. On se croirait presque sur Johnny Winter And Live.
C’est Russ Miller qui amène Mickey Newbury chez Jac. Ben Fong-Torres le décrivit comme «the troubadour answer to Frank Sinatra’s late 50s Only the Lonely period». En 1970, pas mal de gens reprenaient les chansons de Mickey. L’Houghton cite Willie Nelson, Eddy Arnold, Don Gibson, Roy Orbison et Kenny Rogers & The First Edition. Bizarrement, il oublie les Box Tops. L’Houghton trouve la voix de Mickey aussi distinctive que celle de Tim Buckley. Aux yeux de Chips Moman, Mickey fait aussi partie des grands auteurs américains.
Ce que confirme Frisco Mabel Joy paru en 1971. Dès «An American Trilogy», Mickey rend hommage à son cher Dixieland. Il chante à la pure éplorée sentimentale. Cet homme chante avec une extrême délicatesse, c’est ce qu’il faut retenir de lui. Avec «Mobile Blue», il va plus sur la country avec un fantastique exercice de railway station et de take me away. Beau shoot de country et de Lord I get home Mobile Blues today. En B, il tape dans le Dylanex avec «You’re Not My Same Sweet Baby» et il ajoute : «But I’m not the man/ That can change it for you.» Il a une façon de dire sweet baby lady qui a dû en faire fondre un paquet - I’ll just pack my bag & be silently gone - C’est l’un de ces chansons terribles sur l’incommunicabilité des choses de la vie. Il donne ensuite une fantastique ampleur mélodique à «Remember The Good» - For all the times I tried/ I wouldn’t change it if I could/ For all she meant to me/ I’ll remember the good - Brillant Mickey.
La perle d’Heaven Help The Child paru en 1973 s’appelle «Song For Susan». Mickey pousse bien le bouchon de la beauté. On comprend que cet homme soit sur Elektra, un label d’exception. On peut aussi contempler l’envol du morceau titre, en ouverture de balda. Ce mec a autant de son et d’énergie mélodique que Jimmy Webb. Il propose en permanence une pop balladive d’une rare beauté, une sorte d’intimisme intense. Il ne semble vivre que pour le beau, qui est en fait un idéal. Il ne vise que l’excellence. Dans l’esprit, son «Sunshine» est assez proche de ce que propose Fred Neil sur MacDougal. Quand il fait de la country, comme c’est le cas avec «Why You Been Gone So Log» en ouverture de bal de B, il reste envoûtant, si diablement envoûtant. Mickey Newbury est l’un des géants de Nashville. Il construit la mélodie de «Coretella Clark» comme le ferait Paul Simon, il cherche un fil d’argent mélodique, c’est d’une grande pureté.
Pour la pochette d’I Came To Hear The Music, Mickey se fait une tête d’Abraham Lincoln. On retrouve sur cet album enregistré à Nashville des rescapés d’American : Mike Leech et Bobby Emmons. Mickey fait du balladif country très romantique («You Only Love One (In A While)»). Il estime qu’on vit between the first tear & the last smile ou encore between the first step & the last mile, pour les besoins de la rime. Bon alors attention : toutes les compos de Mickey ne sont pas de bombes sexuelles. Il faut garder ça bien présent à l’esprit. Ça évite de se plaindre quand on est déçu par l’un de ses albums. On peut s’y ennuyer, il faut le savoir. Mais on comprend la logique de Jac. En B, Reggie Young vient allumer la gueule de «Dizzy Lizzy». Il joue en embuscade derrière les coups d’acou sauvages de Chip Young. Reggie fait un travail herculéen dans la matière du lard - And rock’n’roll was nothing/ But the blues with a beat - Mickey se fend plus loin d’une belle rengaine sur la mort de l’amour («Love Look (At Us Now)») - I no longer know what to say/ When I come around you - Et il termine sur un «1x1 Ain’t 2» embarqué à la fantastique énergie du country rock de Nashville.
Selon l’Houghton, Lovers enregistré en 1975 représente the pinnacle of Newbury’s recording career. L’homme sait chanter, on le voit très vite avec «Sail Away». Ce disque vaut the ride. On peut écouter chanter Mickey sans craindre ni l’ennui ni la mort. Avec «Lead On», il fait du gospel. Il implore Jesus like an orphan left to wonder/ Like a sailor lost in a storm. En B, on va pouvoir savourer la fantastique qualité de sa mélancolie dans «How’s The Weather». Il espère toujours s’installer un jour avec elle, même s’il vient d’apprendre qu’elle a un fils de 15 mois. Rien n’est plus beau que le sentimentalisme quand il est bien chanté. Il fait ensuite du pur jus de gospel country avec «If You Ever Get To Houston» et se dirige tout droit sur le hit de l’album : «You’ve Always Got The Blues». C’est monté sur une fantastique progression d’accords de old jazz jive et généreusement orchestré - So I’ll be here til midnight/ Looking for someone to lose - Il finit poliment son album avec «Goodnight». Son Goodnight est aussi beau que celui des Beatles - Goodnite my love/ Now close your sleepy eyes - Ce mec chante son heart off - And sail into the sky.
L’autre grand poulain folky-folkah de Jac, c’est Tom Rush. Il a eu le temps de faire trois albums sur Elektra. Le premier, paru en 1965, est célèbre pour sa pochette : on y voit le jeune Tom tout droit sorti d’un roman de Kerouac. Si on voulait savoir à quoi ressemblait Neal Cassady, il suffit de jeter un œil à cette pochette emblématique. L’album en plus n’est pas mauvais. Produit par Paul Rothchild, le débusqueur du jeune Tom. Cet album est plein d’énergie, de coups d’acou et de coups d’harmo. Tom Rush gratte ses poux d’Americana et ça devient sérieux dès l’«If Your Man Gets Busted». Gros son, Tom Rush est plein de mess around, il aurait pu devenir un héros. Il distille avec «Do Re Mi» un violent parfum de cette deep Americana qui de toute évidence a fait craquer Jac. Ils tape aussi une version de «Milk Cow Blues», il chante ça au treat me this way et groove à coups d’acou. Il sort aussi un «Black Mountain Blues» assez heavy de can’t keep a man in jail. Il est quasiment invincible dans «Poor Man» et en B, ça bascule dans la meilleure Americana qui soit, celle des voyages, il ramène des coups d’harp à la gare de Buffalo - From Buffalo down to Washington - Tout est extrêmement bien pulsé sur cet album. Il amène son «Jelly Roll Baker» au big heavy groove, il y va deep down in my soul. Tom Rush est très fort. Il annonce que «Panama Limited» is about a train - This is fast.
Sur son deuxième album Elektra, Take A Little Walk With Me, Tom Rush fait une killer kover de «Who Do You Love». Il la gratte à coups d’acou et ça tourne au big shake de come on baby/ Take a ride with me. Tom Rush la rushe sous le boisseau. Encore une merveille avec «Turn Your Money Green», pur jus du Tennessee - I’ve been down so long/ Looks like up to me - En fait, c’est quasiment un album de grosses reprises, un an ou deux avant que les Anglais du Bristish Blues ne s’y mettent. Avec sa cover de «You Can’t Tell A Book By The Cover», Tom Rush est le roi de la petite Americana. Il fait son beurre sur le dos de Big Dix et de Bo, et il a raison. Ce mec a un son, «Love’s Made A Fool Of You» est tout de suite seyant. Tom Rush groove autant qu’Elvis, il fait merveille à chaque étape. Il faut dire qu’Harvey Brooks joue de la basse sur cet album, ce qui peut expliquer le niveau supérieur de l’ensemble. L’«On The Road Again» n’est pas celui de Canned Heat, c’est un rock de Rush. Il tape aussi une cover de «Statesboro Blues» qui n’est même pas créditée. Il est encore parfait sur «Sugar Babe», vieux shoot de country blues - Sugar babe/ What’s the matter with you/ Sugar Babe/ It’s all over now - Il joue «Galveston Food» au knife style, il vise la pure authenticité du jive.
Son troisième Elektra LP s’appelle The Circle Game et sort en 1968. On est tout de suite frappé par ce ton chaud et viril. Il peut se montrer sexy avec le swagger de la frontière de «Something In The Way She Moves». Il sidère par la qualité de sa présence, ça joue au heavy psyché d’Americana - She’s with me now/ I feel fine - Superbe. Avec «No Regrets», il est tellement bon qu’il préfigure les Tindersticks - No regrets/ No tears/ Goodbye - Et il s’en va. Sa pop de New York City est excellente, ce que montre encore «Sunshine Sunshine». Il pourrait presque abuser de son power de big singer, comme le montre «The Glory Of Love». Il y fait un peu le cake. Il sauve le deep folk de «Shadow Dream Song» au chant inverti, ce mec est extrêmement balèze et il descend dans le heavy balladif du morceau titre au rythme d’un story-telling étendu dans la distance. Tom Rush dispose de ressources insoupçonnées. On peut parler de Gold Rush.
En 1970, Elektra sort l’album des Voices Of East Harlem et Jac s’écrie : «Talk about energy !». Un chœur de vingt personnes - Ils étaient simples, gentils and overpowering. Right On To Be Free est effectivement un album énorme, qui dépasse le concept même du gospel album. On y trouve Chuck Rainey (bass) et Cornell Dupree (guitar), et quelle énergie, dès le morceau titre en ouverture de balda, beurre + congas = boom garanti. Ils font une version cavalante de «Proud Mary», pus jus de Black Power tapé aux congas de Congo Square et Chuck Rainey fait des ravages dans «Music In The Air». Power to the Power ! On se croirait sur Amazing Grace, l’album gospel d’Aretha. Ils attaquent la B avec une reprise du «For What It’s Worth» de Stephen Stills et Chuck Rainey te bombarde ça vite fait au bassmatic ! Anna Griffin embarque «No No No» au paradis du gospel batch, elle est dévorante. En fait, c’est la famille Griffin qui mène le bal et ça se termine avec un «Shaker Life» claqué aux clameurs de la plus belle des claquemures et joué aux congas du diable, avec un power qui justifie tous les excès de pouvoir, notamment la bienheureuse subversion du Black Power universel. Ouvre le gatedold et tu les vois chanter et danser. Cet album est l’un des sommets du lard total.
Lorsqu’on arrive au terme du pavé de l’Houghton, on croise les derniers noms qui firent la réputation d’Elektra : Jobriath et Nuggets.
L’Houghton rappelle que le premier album de Jobriath fut enregistré at Electric Lady Studios avec Eddie Kramer et que lors de sa parution en 1973, il y eut un media blitz, avec un immense panneau publicitaire à Times Square, même plan que pour les Doors à Los Angeles, lors de la parution de leur premier album.
Ce premier album sans titre de Jobriath est un album un peu âpre qu’il faut approcher avec précaution, car il ne correspond à rien de connu, hormis Bowie, mais c’est encore autre chose que Bowie. Les compos de Jobriath sont beaucoup plus ambitieuses, mais il n’a pas de chansons du niveau des grandes chansons de Bowie. Dès «Take Me I’m Yours», il impose une belle présence vocale, il est même beaucoup plus outrageous que Bowie. Il attaque son «Be Still» à la pure décadence d’upon every corner. Il fait enfin un stomp de glam avec «Earthling», mais c’est un glam trop tarabiscoté, rien à voir avec «Jean Genie». Et il profite de «World Without End» pour faire un petit panorama historique des atrocités - Chrétiens, sorcières, juifs - Il électrise le son et fait son Spider. Il ouvre sa B avec «IMAMAN», c’est-à-dire I’m a man. Il est dans son monde, c’est très baroque, on pense bien sûr à Steve Harley & Cockney Rebel. Mais dès qu’il tape dans le starship de «Mornig Starship», il fait du Bowie. Il rend hommage à Bill Haley et Little Richard dans «Rock Of Ages» et voilà le travail.
C’est sûr, il faut écouter Jobriath, car il fait du pur Ziggy, mais avec une voix plus ferme, plus mâle et du coup ça peut plaire énormément. On trouve de jolis classiques glam sur Creatures Of The Street, à commencer par un «Ooh La La» qui n’est pas celui des Faces, mais un cut de glam disons bien énervé. Même chose en B avec «Good Time» et «Sister Sue» : ils claquent tous les deux comme l’étendard de Jobriath, avec un certain goût de reviens-y. «Sister Sue» est même brillant, gratté à coups d’acou clairvoyante, il y a du beau monde derrière Jojo, ça swingue à outrance. «Listen Up» est très Bowie dans l’approche, très intéressant, bien ficelé, joué au dodécaphonisme. On retrouve des accents de «Life On Mars» dans «Gone Tomorrow». Pourquoi Bowie a percé et pas Jojo ? Ça reste un mystère, car franchement, tous les éléments du super-stardom sont rassemblés. Il fait une resucée d’«Ooh La La» pour finir et la sucre au glam funk. Magnifique artiste.
Pour Nuggets, Jac dit qu’il faisait confiance à Lenny Kaye. Il fut même surpris d’obtenir les licences aussi facilement, car tous ces cuts qui n’étaient pas si vieux faisaient déjà parie de l’archéologie. Ce qui intéressait surtout Lenny Kaye, c’est le lien qui existait entre ces groupes qui étaient alors devenus obscurs et le duo Stooges/MC5. Jac : «Seul Lenny Kaye a noté ce lien qui existait entre ces groupes et les Stooges et le MC5, who were fuelled by the same energy as classic garage bands.» Admirable façon de boucler la boucle. Pour savoir tout le bien qu’on pense de Nuggets, il faut se rendre à la rubrique ‘Mon Kaye Business’. On y épluche Nuggets en long, en large et en travers. Quant à cette grosse poissecaille de Tim Buckley, elle fait l’objet d’un part à part.
Signé : Cazengler, Jacques Holsmerle
Mickey Newbury. Frisco Mabel Joy. Elektra 1971
Mickey Newbury. Heaven Help The Child. Elektra 1973
Mickey Newbury. I Came To Hear The Music. Elektra 1974
Mickey Newbury. Lovers. Elektra 1975
Tom Rush. Tom Rush. Elektra 1965
Tom Rush. Take A Little Walk With Me. Elektra 1966
Tom Rush. The Circle Game. Elektra 1968
Bread. Bread. Elektra 1969
Bread. On The Waters. Elektra 1970
Bread. Manna. Elektra 1971
Bread. Guitar Man. Elektra 1972
Bread. Baby I’m-A Want You. Elektra 1972
Bread. Lost Without Your Love. Elektra 1976
Phil Ochs. All The News That’s Fit To Sing. Elektra 1964
Phil Ochs. I Ain’t Marching Anymore. Elektra 1965
Phil Ochs. Pleasures Of The Harbor. A&M Records 1967
Phil Ochs. Tape From California. A&M Records 1968
Phil Ochs. Greatest Hits. A&M Records 1970
Lonnie Mack. Glad I’m In The Band. Elektra 1969
Lonnie Mack. Whatever’s Right. Elektra 1969
Lonnie Mack. The Hills Of Indiana. Elektra 1971
The Alabama State Troupers Road Show. Elektra 1972
Voices Of East Harlem. Right On Be Free. Elektra 1970
Jobriath. Jobriath. Elektra 1973
Jobriath. Creatures Of The Street. Elektra 1974
Nuggets (Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968). Elektra 1972
Mick Houghton. Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label. Outline Press Ltd 2010
Inside the goldmine
- Marvallous Marva
Baby Rose portait un chapeau curieux qui lui donnait un petit côté mutin, voire coquin. Ce chapeau couleur prune ressemblait aux chapeaux qu’arboraient les rois de France aussitôt après le moyen-âge, ces oripeaux aux allures de bombardes à sommets plats, façonnés en cônes renversés, ni trop massifs, ni trop hauts, seyants comme par la grâce de Dieu. On se laisse parfois aller à adorer les audaces que s’autorisent les femmes par coquetterie. Elle drapait sa haute maigreur dans un long manteau classique, presque baroque, qui rétablissait une sorte d’équilibre. Le tout constituait une silhouette d’une élégance probante. On ne pouvait rêver abord plus charmant. Baby Rose donnait facilement libre cours à sa belle volubilité de femme mure : «Je suis une femme de lumière !», s’exclamait-elle, trépidante. Un pur régal que de la voir à l’œuvre. Par chance, la conversation obliqua rapidement sur la littérature. Nous nous accordâmes des cavalcades éperdues à travers les steppes de nos immenses connaissances respectives, nous jubilions de concert. Effeuiller Baby Rose, voilà qui commençait à prendre la tournure d’une perspective pirandellienne. Puis, au beau milieu d’un moment de répit, elle avoua avec un naturel charmant et sans l’once d’une perfidie qu’elle écrivait des romans. Elle expliqua dans le détail qu’elle travaillait sur les trois volets d’une trilogie. Lui pressant doucement le poignet, je lui fis cette demande : «Aurez-vous la bonté de me les donner à lire ?». Elle rougit légèrement et ne fit aucune objection. Ses yeux étincelaient de reconnaissance. Elle concéda que ça lui réchauffait le cœur de trouver enfin quelqu’un à qui s’en remettre, littérairement parlant, se hâta-t-elle d’ajouter, craignant que son propos ne fût mal interprété. Comme le laissaient supposer ses rafales de commentaires, la lecture critique de cette trilogie allait être d’un ennui mortel. Elle disait s’être engagée dans une voie autobiographique qu’elle émaillait de renvois mythologiques. La Grèce antique n’avait aucun secret pour elle. Elle disait savoir soupeser les éléments et en décrire la portée tragique. Elle devint barbante. Elle proposa soudain d’aller faire un tour au bois. Elle appartenait à coup sûr à la catégorie des femmes athlétiques qui se font sauter contre des arbres, et comme ça caillait, il fallut couper court à cette incongruité et prétexter d’un rendez-vous à l’autre bout de Paris. Elle masqua courageusement sa déception. De toute évidence, elle se trouvait là pour les mêmes raisons : provoquer une situation de baise qui eût fourni matière à récit. Nous nous séparâmes sans acrimonie.
À l’inverse de Baby Rose, Marva Whitney n’écrit pas de romans barbants, elle enregistre plutôt des albums somptueux. Comme Lynn Collins, Yvonne Fair, Martha High et Vicki Anderson, elle fait partie des Funky Sisters qui sont montées sur scène avec James Brown. The Marvallous Marva remplaça Vicki Anderson en 1968. Elle n’a enregistré que fort peu d’albums solo, mais tous valent sacrément le détour.
Son Live And Lowdown At The Apollo date de 1969. Elle y fait une superbe version de «Respect» en B. On devrait même parler d’une version historique. Elle le prend très haut, comme Aretha, avec tout le chien de sa petite chienne - R, E, S, Pi Ci Ti ! - Elle l’articule bien, au cas où le con à qui elle le destine n’aurait pas compris, et en prime, tu as un solo de sax incendiaire. Puis elle duette avec James Brown - You know what ? - Et il y va le JB, «You Got To Have A Job» - You know what ?/ You pay dime - Say it again ! En ouverture de balda, elle met les bouchées doubles avec «Things Got To Get Better Pt1» et plus loin, elle tape deux classiques du funk, «It’s My Thing» et «I Made A Mistake». Elle est hot la Marva, elle y va au yeah yeah yeah. À part chez Vicki Anderson, t’auras jamais ça ailleurs. C’est avec «It’s My Thing» qu’elle allume au plus haut degré, elle chante son hard funk très perché. Marva est la grande screameuse de funk devant l’éternel.
Paru en 1969, It’s My Thing est produit par James Brown. Alors en voiture Simone ! Big flash de funk dès le morceau titre. Marva, c’est JeeBee au féminin, exactement la même niaque - I can do/ Wat I wanna doooo - Hard funk, elle est dedans, elle s’en bouffe la rate, I can do what I wanna doooo ! Elle le fait en deux parties. Elle ravage encore les contrées avec «Things Got To Get Better», elle semble avoir mille fois plus d’énergie que les mecs, ça groove dans le dirt, elle est bouillante de burn-out, elle patauge dans le génie, il n’existe pas de meilleure allumeuse que Marva, elle tape dans le dur - Got to give it out/ Got to give it out ! - Pour «If You Love Me», elle va chercher le chant à l’extrême pointe du if you dooo now prove it baby et elle l’explose, son prove it baby. Elle tape encore dans le funk extrême avec «Unwind Yourself», c’est une injonction, elle ne cédera pas. JeeBee vient duetter avec elle sur «You Gor To Have A Job», ça sent bon l’odeur des flammes de l’enfer, fantastique enfer, le JeeBee est juste derrière elle, on a là le funk suprême. Mais comme toutes les championnes, elle fatigue, elle tape «I’m Tired I’m Tired I’m Tired» sur le groove de «Tighten Up». Autant dire que c’est explosif. Retour au hard funk avec les deux parties d’«I Made A Mistake Because It’s Only You». Elle travaille son funk au corps - You can do what you wanna doo/ Only you - Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, pas de répit, elle fait sa Aretha dans le funk d’«He’s The One» et quand elle tape dans Burt avec «This Girl’s In Love With You», ça bascule dans la magie. Jamais rien vu d’aussi balèze que Marva tapant dans Burt. C’est tout de même l’un des hits du siècle passé. Et comme si tout cela ne suffisait pas, elle reduette avec JeeBee sur une version de «Sunny».
En 2006, paraît I Am What I Am, un album exotique de Marva Whitney With Osaka Monaurail. Exotique car enregistré au Japon et c’est un gigantesque album de funk. Non seulement le morceau titre ouvre le bal, mais en plus, il te saute dessus. Cet «I Am What I Am» vaut tout le JB, I am/ What I am, elle est au cœur du mythe funk, au cœur du mythe de la pulsion, funk it to me, elle le fait au sparse, avec des retours de trompettes, elle déchire le funk et retombe dans l’ouate du don’t feel good, elle pose ses notes, c’mon, I am/ What I am, le flux du sex de funk l’emporte, Marvallous Marva te sort le pire raw funk de l’univers. Elle continue d’éclater les noix du funk avec «Soul Sisters (Of The World Unite)», elle repart dans l’énormité, we got to get together, sur un beat de funk disparate, pur génie vocal, elle s’explose la rate, elle chante au top du beat, Marvallous Marva est une géante. Troisième coup de Jarnac avec «Give It Up Or Turn It Loose», hey ! C’est le JB beat ! Elle est JB au féminin, hold me tight, elle est tellement dans le hard funk qu’elle le transcende. Elle reste dans le JB avec «It’s Her Thing», fantastique pulsion d’Osaka, cet instro est une merveille, serti d’un vaillant solo de trompette. Tout est hot sur cet album, elle est fabuleusement douée pour les développements, comme le montre encore «(Let A Sister Come In And) Wrap Things Up», help me somebody ! Elle termine en mode Gospel batch avec «Peace In The Valley», elle dispose de l’assise, elle pose sa voix dans la main de Dieu miséricordieux, elle connaît tous les secrets du vieux Spiritual. Elle est accompagnée au piano, pas de chœurs, c’est très balèze. Comme Aretha dans l’Amazing Grace de Sidney Pollack, elle taille sa route à l’a-capella.
Signé : Cazengler, Morveux Whitney
Marva Whitney. Live And Lowdown At The Apollo. King Records 1969
Marva Whitney. It’s My Thing. King Records 1969
Marva Whitney With Osaka Monaurail. I Am What I
Wizards & True Stars
- Sur les traces de Dan Treacy (Part One)
Dan Treacy ? Tu lui donnerais le bon dieu sans confession. Rien qu’à le voir, avec sa petite bouille d’éternel adolescent. Tant qu’on y est, on peut aussi donner le bon dieu sans confession à Benjamin Berton pour son livre, Dreamworld: The Fabulous Life Of Dan Treacy. Et plutôt deux fois qu’une, car non seulement l’auteur qui est français est traduit en anglais, mais il célèbre avec ce petit book miraculeux l’un des artistes les plus obscurs de l’Underground Britannique. Il n’est pas certain que les Television Personalities aient vendu beaucoup d’albums. Par contre, les ceusses qui les possèdent les considèrent comme les prunelles de leurs yeux. Sur l’étagère, tu ranges ces albums à côté de ceux de Syd Barrett, de Felt, de Kevin Ayers et de Robert Wyatt.
Ce n’est qu’à la fin du book qu’on réalise que Berton est français, lorsqu’il évoque le concert des TVP aux Mains d’Œuvre de Saint-Ouen. Mais son book est tellement bien foutu qu’il réussit à faire illusion. Illusion, voilà d’ailleurs le mot clé. Berton s’inspire tellement du surréalisme psychédélique de Dan Treacy qu’il transforme tout le début de son récit en fable surréaliste psychédélique. On se croirait dans Cent Contes Rock !
On est en 1977 et Dan fait des livraisons pour sa mère qui tient un pressing du côté de King’s Road. Il passe bien sûr devant la boutique de McLaren qui s’appelait Sex et qui s’appelle désormais Seditionaries. Il connaît Jordan. Il va livrer des fringues chez Bob Marley qui vit dans une grande baraque à Chelsea, puis sa mère l’envoie trouver Peter Grant pour le compte duquel elle lave aussi des fringues. Normalement, Peter Grant devrait trouver un petit boulot pour Dan. D’ailleurs Mama Treacy indique que Mister Grant est un homme charmant et qu’elle lave les jeans de Jimmy Page depuis plus de dix ans. Elle ajoute qu’elle n’a jamais vu le diable sortir d’un caleçon de Jimmy Page - C’est d’ailleurs la seule chose qui ne soit pas sortie de ses caleçons, si vous voulez tout savoir, indique-t-elle en éclatant de rire. À quoi Daddy Treacy ajoute qu’il ne souhaite pas entendre la suite. Effectivement, le charmant Mister Grant donne un petit boulot à Dan : nettoyer la pièce où s’est déroulée l’une des messes noires de Jimmy Page, dans la mystérieuse pièce du fond, dans laquelle personne n’a le droit d’entrer. Berton bat Mick Wall au petit jeu du satanisme de Led Zep. Comme la scène se déroule dans les locaux de Swan Song Records, Jimmy Page déboule. Dan ne parvient pas à établir le contact avec ce personnage glacial. La légende veut qu’à l’entrée de Jimmy Page dans une pièce, la température chute brutalement.
Puis Dan et ses amis qui rêvent de composer des tubes montent le projet de kidnapper Paul McCartney. Il se rendent chez lui, au 7 Cavendish Avenue. L’idée est de faire cuire son cœur et sa cervelle et de boire le jus pour récupérer son talent de compositeur. Ils ont même une autre idée : lui couper les mains pour se les greffer et tabler sur la mémoire de ces mains qui ont composé tant de jolies mélodies. Ils appellent ça la transsubstantiation. Pas de chance, ils arrivent le jour de la mort d’Elvis et McCartney fait une déclaration aux journalistes. Le projet tourne au fiasco. C’est alors que Dan dit à ses amis : Je sais où vit Syd Barrett. Voilà comment Berton nous introduit dans le jardin magique de Dan Treacy et de ses Television Personalities. Pouvait-on imaginer meilleure introduction ? Non.
Autour de Dan Treacy gravitent de précieuses personnalités satellitaires : Ed Ball qu’on va retrouver dans The Times, fleuron de la London Mod scene, Jowe Head qui vient des Swell Maps, fleuron de la modernité, et Joe Foster qui jouera de la basse dans les TVPs avant d’aller co-créer Creation en 1983 avec Alan McGee. Foster, Ball et Head sont tous les trois des forces de la nature qui multiplient les projets et qui chacun à sa manière redore le blason de l’Underground Britannique. Berton nous dit aussi que Joe Foster travaille jour et nuit pour Creation. Il ne dort jamais, il tourne au speed. Il va payer le prix fort et disparaître quelques années avant de revenir avec Rev-Ola, un petit label spécialisé dans la réédition de disques cultes. Ed Ball prend ses distances avec Dan qui est trop lunatique pour monter ses propres projets. Il bossera lui aussi pour Creation. Quand Dan va commencer à perdre pied, Ed Ball volera à son secours.
Après ses miraculeux chapitres d’intro, Berton entre dans le vif du sujet, les Television Personalities, comme s’il était rattrapé par la réalité. Il évoque un Daniel Treacy à la fois ambitieux et jamais prêt à sauter le pas. Après la parution de «Part Time Punks» et son retentissement, Ed dit à Dan qu’il faut passer à l’étape suivante et donner un concert, à quoi Dan répond que les TVPs sont un studio band. Ed veut avancer, mais ça n’intéresse pas Dan. En fait, Dan s’entend mieux avec Jowe Head qui joue alors de la basse dans Swell Maps : ils aiment tous les deux les voix fragiles, les personnages enfantins et le dilettantisme musical, ils deviennent malgré eux les papes du DIY movement. Ed finit par organiser un premier concert des TVPs, mais ce soir-là Dan disparaît. Mark Sheppard et Joe Foster doivent se débrouiller tout seuls sur scène. Jowe Head et Nikki Sudden volent à leur secours.
TVDan commence à bricoler un univers très spécial, à base d’esthétique sixties, de pop art et d’une obsession pour les célébrités : David Hockney, Dali, Syd Barrett. Berton saute sur l’occasion pour lancer la ronde des références, toutes plus parlantes les unes que les autres : La Motocyclette, ce film adapté d’un roman érotique d’André Pieyre de Mandiargues, avec Marianne Faithfull et Alain Delon, Le Portrait de Dorian Gray, Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier qui est le point de conjonction évident, et Roy Liechtenstein, le pape du pop-art, chez qui TVDan va trouver le nom de son label : Whaam!. Quand Berton évoque la possibilité d’un biopic sur les TVPs, TVDan voit très bien Gary Oldman jouer son rôle, Christopher Walken jouer celui de Jowe Head et Anthony Perkins celui du Syb Barrett vieillissant.
L’autre grand axe des TVPs est semble-t-il le désespoir non affiché. TVDan grandit dans l’Angleterre thatchérisée, une Angleterre dont la jeunesse est sacrifiée, avant même d’avoir commencé à entrer dans l’âge adulte. Inutile de vouloir résister, ajoute Berton. Mais bon, le groupe existe, cahin-caha. TVDan tourne avec une première équipe, puis une deuxième, et quand Jowe Head arrive, il stabilise le line-up pour dix ans. TVDan ne fait pas de set-lists. Les autres doivent se caler sur le premier accord. Ils font pas mal de covers et tapent abondamment dans les sixties : Pink Floyd, Kinks, Beatles, Who, Velvet, Creation, Stones, Seeds, Love, Jonathan Richman et Joe Meek, un Meek qui est l’un des chouchous de TVDan.
Très vite, on considère TVDan comme le Syd Barrett de sa génération, capable d’écrire de grandes chansons qui ne tiennent qu’à un fil. Étonnamment, ce phénomène purement britannique que sont les TVPs s’est trouvé un public en France, alors que leur son n’est pas forcément très accessible. Berton considère que leur premier album, And Don’t The Kids Just Love It paru en 1980, est le meilleur et le plus significatif. On retrouve sur la pochette Patrick McNee et Twiggy. Ce visuel culte orne aussi la couve du Berton book. Au dos de la pochette de l’album dansent les noms de Syd Barrett, de Pete Townshend et des Creation. TVDan, Ed Ball et Mark Sheppard nous claquent «World Of Pauline Lewis» comme un hit Mod, avec le riffage typique des early Who. Ils profitent de «Drag Of A Young Man» pour plonger dans l’underground, avec une mélodie jouée en note à note sur une guitare rachitique. TVDan sort son meilleur accent cockney pour chanter l’histoire de Geoffrey Ingram - Just like Geoffrey Ingram - qu’on verra aussi apparaître dans le Berton book comme un personnage doté de pouvoirs surnaturels. C’est en B qu’on trouve le pot aux roses, «I Know Where Syd Barrett Lives» - He was very famous/ once upon a time - TVDan fait du Barrett bien barré et crée sa légende - On the edge of the world - On entend des oiseaux chanter. Ils terminent sur une belle poussée de Mod fever avec «Look Back In Anger», mauvais cocktail de chant mal réveillé et d’accords explosifs. Sous le soleil Mod exactement.
On voit l’univers de TVDan se dessiner petit à petit. Un jour, il monte sur scène, en première partie de David Gilmour, et tape un medley barrettien, «Set The Controls For The Heart Of The Sun/ The Gnome Song/ See Emily Play» qu’il chante d’une voix fausse et infantile. Puis il dit au public de sortir un papier et un crayon pour noter l’adresse et pouf, il attaque «I Know Where Syd Barrett Lives». L’adresse exacte à Cambridge est dans la chanson. Gilmour ne voudra pas de TVDan pour les autres concerts. Gilmour et TVDan ne vivent pas dans le même monde.
Les albums vont ponctuer la vie de TVDan, et donc le Berton book. On ne perd pas son temps à les écouter, loin de là. TVDan, Ed Ball et Mark Sheppard enregistrent Mummy Your Not Watching Me en 1982. «Adventure Playground» sonne comme un hymne Mod, emmené par le bassmatic féroce d’Ed. TVDan fait son Syd et claque du early Who sur sa Teardrop. Il noie d’écho son «Brian’s Magic Car» et y fait son Smith (le Mark E.). Il ramène des arpèges en lousdé et crée une sorte de délire fasciné par lui-même, une circonvolution débridée. Puis il revient à son obsession pour les célébrités avec «David Hockney Diaries», joli shoot d’heavy pop, mais sans l’eau bleue des piscines - I want to fly around the world in my own private plane/ I want to party every night so I can sleep all day - Facétieux, il s’amuse à sonner par instants comme Johnny Rotten. Il revient à la grosse énergie foutraque des early Who avec «Painting By Numbers». Il te gratte ça comme un Jean-foutre d’happy-go-lucky. C’est ce qui fait son charme. Retour à la belle pop dégingandée avec «If I Could Write Poetry», une espèce de bonne franquette montée sur un bassmatic épique, une pop effarante de prestance, livrée à l’écho du temps, comme surgie dans l’éclat d’un matin d’été à Chelsea.
À la fréquentation de Daniel Treacy, il se produit un phénomène intéressant, une sorte de réaction en chaîne. Puisque TVDan jubile à enregistrer sa pop délurée, Berton jubile forcément à écrire son book, ça se sent, alors on le lit et du coup tout jubile dans la baraque. Consacrer du temps à dire tout le bien qu’on pense de TVDan est par conséquent une jubilation de tous les instants. On constate en plus que chaque album se comporte à la réécoute comme l’un des petits romans loufoques de Raymond Queneau jadis parus dans la collection l’Imaginaire (Les Enfants Du Limon, Odile, Saint Glin-Glin). Oserait-on aller jusqu’à dresser un parallèle entre TVDan et Queneau ? Oh c’est pas compliqué, il suffit de voir leurs bouilles respectives.
Pour saluer le troisième album du groupe, They Could Have Been Bigger Than The Beatles, Berton bombarde les TVPs en tête de gondole du psyche-Mod revival, il parle d’une mixture de frivolity et de spirit of the times. Il n’y a aucune prétention dans le titre de l’album, c’est un pied de nez à la Treacy, fruit de son petit humour acidulé. L’album qui est en fait une compile est bourré à craquer de classiques, comme ce «David Hockney’s Diaries» tiré de l’album précédent. TVDan est un être cultivé, il bricole par conséquent des chansons cultivées. Ouverture de balda avec «Three Wishes», big shoot de far-out so far out. Il ressort son meilleur accent cockney pour marmonner «In A Perfumed Garden». «Kings And Country» sonne comme la BO d’un film d’espionnage, avec une belle prestance. TVDan barde ce hit d’accords éclatants et finit en mode «Eight Miles High», histoire de nous en boucher un coin. Retour au trip Mod avec «The Boy In The Paisley Shirt», petite pop soignée et minimaliste, doucement décadente, activée par de jolies montées au chant. En B, il rend deux fois hommage aux Creation, avec «Painter Man» et «Makin’ Time», deux covers inspirées et somptueuses à la fois. Il finit avec deux leçons de minimalisme : le minimalisme estudiantin (avec «Psychedelic Holiday», envoûtement garanti), et le minimalisme cockney, plus punk que punk (avec «14th Floor» - na na na I’ve really got to really go.)
C’est l’époque où Ed Ball prend ses distances et Joe Foster prend le groupe en charge. Il prend même carrément en charge l’aventure du quatrième album, The Painted World, qui a un parfum plus velvetien. «Stop And Smell The Roses» aurait pu se trouver sur l’un des trois albums du Velvet. D’ailleurs, quand on voit la pochette, on pense tout de suite au Velvet. C’est l’esthétique. Ils rendent aussi hommage à Dylan avec «A Sense Of Belonging», qui sonne comme un hit softy-softah. Hommage à Nico avec «Say You Won’t Cry». On croit aussi entendre les Byrds. En B, ils piquent une belle crise avec ce «You’ll Have To Scream Louder» monté sur le bassmatic entreprenant de Joe Foster. S’ensuivent des cuts incroyablement solides : «Happy All The Time», «Paradise Estate» et «Back To Vietnam» qui font de cet album l’une des pierres blanches de l’histoire du rock anglais. Berton indique que le titre de l’album est emprunté à Tom Wolfe qui dans son Painted World s’en prend à la superficialité de la critique d’art. Berton ajoute que cet album est le diamant noir des TVPs, un miracle d’équilibre et un monument d’instabilité. C’est fabuleusement bien ressenti : «Comme si Joe et Daniel avaient construit un château de cartes avec tout ce qui ronge la vie sociale : la solitude, le désordre mental, le manque d’affection, la guerre et l’écroulement du royaume.»
Puis c’est au tour de Joe Foster de lâcher l’affaire. Les TVPs continuent en trio pendant un bon moment, avec Jeff Bloom au beurre et Jowe Head au bassmatic. Étant donné que Jowe Head est un vétéran de toutes les guerres, il peut improviser et chanter quand Dan disparaît, ce qui se produit régulièrement, lors des tournées. Berton recrée l’illusion des premiers chapitres psychédéliques avec l’épisode Nico. Il entre dans les détails et ça devient fascinant. L’épisode se déroule en mai 1982, les TVPs doivent jouer en première partie de Nico à Berlin. Rough Trade nous dit Berton a demandé aux Blues Orchids d’accompagner Nico sur scène. Alors les Blue Orchids, ce n’est pas n’importe qui : deux anciens Fall (Martin Bramah et Una Baines) et un groupe baptisé Blue Orchids par John Cooper Clarke qui allait, ajoute Berton, partager un peu plus tard la vie et la seringue de Nico sans pourtant, précise lui-même Clarke, partager son lit. Big Berton is on fire ! Il nous emmène en plein cœur d’un mythe, il relie le Velvet à Berlin en passant par Manchester. Berton décrit les Blue Orchids à table, au breakfast : «Ils ont été bien entraînés par Mark E. Smith. Il boivent de la bière au breakfast. Bramah est un peu plus âgé que Daniel, un an ou deux, mais ces mecs ont l’air parfaitement idiots. Ils ne savant pas qui est Nico. Ils demandent à Daniel : ‘C’est qui c’te gonzesse ? Jamais entendu parler d’elle.’» Bien sûr Berton profite de l’épisode pour retracer le parcours de Nico, on la voit au bras de Brian Jones, de Dylan, d’Andy Warhol et d’Alain Delon, puis on connaît la suite, l’idée de Warhol d’injecter du glamour dans les mordid songs du Velvet. Berton évoque aussi Lawrence, le leader de Felt, qui est souvent comparé à TVDan et qui comme lui, est un beau spécimen d’addict. Et comme TVDan, il n’est pas non plus affamé de succès. L’underground lui suffit.
Sur son label Whaam!, TVDan fait la promo des Marine Girls, mais aussi des Pastels et de Doctor & The Medics. Berton évoque alors cette tendance pop de l’époque, la twee pop, dont les têtes de gondole sont les Marine Girls, les Young Marble Giants, The Field Mice, Belle & Sebastian et Beat Happening qui eux sont américains. Pourquoi twee pop ? En raison d’une certaine forme de naïveté affichée.
Nouvel épisode spectaculaire : l’épisode Nirvana. On connaît les goûts de Kurt Cobain pour les légendes de l’underground : Meat Puppets et les Vaselines d’Eugene Kelly. Les TVPs en font aussi partie. Nirvana arrive en Angleterre pour une tournée et demande à ce que les TVPs jouent en première partie d’un concert à l’Astoria. Nirvana n’a pas encore explosé et TVDan ne sait rien du groupe. Berton s’amuse alors avec les spirales, celle de Nirvana qui va vers le haut et celle de TVDan qui va vers le bas. Mais si leurs spirales vont dans des directions opposées, Kurt et TVDan ont deux sacrés points communs : leur goût de l’indépendance artistique et l’addiction - Le destin de Treacy était déjà scellé, alors que Cobain se rapprochait chaque jour du sien, quittant l’inconfort de l’anonymat et du manque de reconnaissance pour une cage dorée et une surexposition mortelle - Oui, TVDan est déjà dans l’héro et Kurt drugs himself to oblivion. Mais comme le dit si bien Berton, les TVPs sur scène à l’Astoria, devant un public de gosses affamés de grunge, ça ne marche pas. On les siffle. Piss off ! Un mec leur crie «Fuck off» à quoi TVDan répond «Fuck off yourself !». Puis Berton nous emmène dans le backstage et là on voit Kurt qui vient féliciter TVDan. On assiste à une nouvelle scène magique : Kurt dit à Dan qu’il aime beaucoup sa version de «Seasons In The Sun». Il lui dit même que c’est sa chanson favorite. Une chanson de Terry Jack. Puis il demande à TVDan s’il connaît la B-side du single de Terry Jack. TVDan se marre : «Put The Bone In» ! et il commence à la chanter. Kurt est scié. Alors Berton ressort le Grand Jeu : «Une chance sur un million que deux personnes qui ne se connaissent pas puissent parler de la B-side du single d’un obscur artiste canadien, paru 17 ans auparavant.»
Comme TVDan a besoin de blé pour sa dope, il commence à sortir des albums un peu partout. Chocolate Art, le premier d’une longue série d’albums live, permet d’apprécier la bête sur pieds, comme on dit chez les maquignons. TVDan pousse la rachitisme dans ses retranchements et propose un rock tragiquement anémique. Les chœurs de chauve-souris qu’on entend dans «Kings And Country» font bien rigoler. Les versions de «Look Back In Anger» et de «La Grande Illusion» sont comme qui dirait décousues. Dès qu’il monte un peu haut, TVDan chante faux. Ils parviennent à faire sonner «When Emily Cries» comme un cut des Byrds. Il règne sur cet album un gros parfum d’anarchie. Mais rien à voir avec Ravachol.
Privilege est certainement leur album les plus connu. Jolie pop-song à caractère lumineux, «Paradise For The Blessed» fut un hit dans les années 80. TVDan soigne aussi les arrangements de «Conscience Tells Me No». Il revient à ses chères célébrités avec «Salvador Dali’s Garden Party», prétexte à un délire : il improvise avec des noms d’invités - Jack Nicholson was there, Mia Farrow was there, Woody Allen was there, Dennis Hopper was there, Peter Fonda was there, Debbie Harry was there - il s’amuse comme un petit fou. Il est possible que Philippe Katerine se soit inspiré de ça pour son Barbecue à l’Élysée, car on y retrouve des invités de TVDan - Il y avait Frank Sinatra Madonna et Jean XXIII Gershwin au piano/ Et Yoko Ono/ Il y avait Woody Allen/ Il y avait Eminem/ Elvis Presley/ Charles Trénet - Puis Katerine rentre chez lui pour, dit-il, faire caca. Katerine et TVDan même combat ? De toute évidence. Et puis TVDan nous balance un gros solo psyché dans «Sometimes I Think You Know Me», histoire de rappeler qu’il n’est pas un rocker à la mormoille. Berton s’extasie et parle d’extraordinary power and richness. Privilege sort sur Fire, le label de Clive Solomon, un fan transi des TVPs. Il les as vus une centaine de fois sur scène. Fire va même devenir l’un des labels de pointe de l’Underground Britannique avec des albums de Spacemen 3, Eugenius, Blue Aeroplanes et Mission Of Burma.
Alors évidemment, Berton ne pouvait pas rater une occasion pareille : la Garden Party de Salvador Dali ! Il découvre que cette Party s’inspire de la fameuse Surrealist Heads Ball organisée par les Rothschild, en décembre 1972 au Château de Ferrières, avec des tas de gens issus du monde des affaires, de l’aristocratie et du showbiz. Geoffrey Ingram montre une vidéo du Salvador Dali’s Garden Party à l’auteur, on y voit Dali, bien sûr, mais aussi Audrey Hepburn. L’ambiance menace de sombrer dans un mélange de satanisme et de high-class orgy, alors bien sûr, Berton saute encore sur l’occasion pour établir un lien avec le dernier film de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut. Il évoque aussi le Surrealist And Oneiric Ball donné en l’honneur de Dali et de Gala à New York en 1935. Berton qui est affreusement bien documenté donne tous les détails. Franchement, on ne perd pas son temps à bouquiner son book. On se sent même un peu moins con à la fin de la journée.
Puis TVDan entame sa petite descente aux enfers, lorsque sa relation avec sa poulette Emilie Brown rend l’âme. Dans la foulée, il perd son label Dreamworld, et comme il n’a plus un rond pour payer son loyer, le voici à la rue. Il s’en va vivre dans un squat et qualifie cette nouvelle tranche de vie d’«alternative lifestyle».
Il existe un autre album live, enregistré en France, Camping In France. Même esprit que Chocolate Art. On y retrouve quasiment les mêmes titres, «Kings And Country», «Three Wishes», «La Grande Illusion», «David Hockney’s Diaries», la reprise de «Painter Man», «Back To Vietnam», «Geoffrey Ingram» et une solide mouture de «Salvador Dali’s Garden Party». Ils finissent sur un superbe hommage aux Mary Chain, avec «Never Understand». Un passage obligé.
Puis TVDan monte d’un cran avec un double album, Closer To God et là on ne rigole plus. Dès l’intro on sent le très gros disque. «You Don’t Know How Lucky You Are» est de l’acid freakbeat au sens fort du terme, un coup de Syd mal luné, son aigu, goutte au nez, jamais content de rien, trop psyché-moutarde, gratté à sec. «Little Works Of Art» est une vraie petite pièce sensible, admirable de distance épisodique, digne des Pastels et typique des errements d’une fin de siècle. TVDan nous chante le mal du pays avec «Coming Home Soon» - To jacket potatoes/ and cheese on toast - Encore un cut frais et rose avec «Me And My Ideas» - Hope I die before I get a suntan, histoire de se moquer de Pete Townshend - Il tartine «Honey For Bears» d’une infinie mélancolie, histoire de rendre hommage aux Mary Chain. Ampleur garantie, pure vision latérale. TVDan n’en finit plus de surprendre. Il ramène son accent cockney pour «Goodnight Mr Spaceman» - I’ve taken three e’s/ But I still can dance like Bobby Gillespie - Il chante comme un dandy cockney bien fracassé - But I don’t care/ I always wear clean underwear/ I often feel like Edward Munch - «You Are Special And You Always Will Be» sonne comme un balladif des Mary Chain, avec un beau son de basse, et TVDan en profite pour rendre hommage à Leonard Cohen - Leonard Cohen knows what I mean/ I wish I had the beauty of his work - TVDan est un mélodiste hors pair. Il revient au trip Mod avec «Not For The Likes Of Us», une étrange histoire de Mod qui tourne mal et on tombe en fin de D sur une énormité stupéfiante : le morceau-titre de l’album qui fait référence à l’enfance de TVDan. Fabuleuse pièce de psyché anticlérical balayée par des vents d’accords aigus et de wah - Hurt the child/ Then show it love/ It’s just violence in a velvet glove - On sort de ce disque en s’ébrouant comme un cheval.
Puis TVDan rencontre Alison Withers et entame avec elle une belle aventure romantique. Ils prennent un petit appart à Acton Town in West London et TVDan commence à se relaxer un peu. Il ralentit sa conso de dope et se limite à un peu de speed quand il doit monter sur scène. Alison fait de la photo et c’est à elle qu’on doit les plus beaux shoots des TVPs. L’idylle dure sept ou huit ans, entre 1988 et 1995. Ils passent leur temps avec de bons amis, Jowe Head et puis Ed Ball qui n’est jamais loin, nous dit Berton. TVDan et sa poulette n’ont pas de blé, alors ils restent souvent à la maison et se tapent des soirées TV. TVDan devient même végétarien - Il adore plaisanter et faire l’amour l’après-midi. C’est un homme timide, mais il explore le corps de sa compagne comme il explore son manche de guitare. Daniel est un homme intelligent - Mais on le sait, tout a une fin - Life is good, but not for long. Tout est bien dit chez Berton.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, la relation entre Jowe Head et TVDan se détériore. C’est Liam Watson, le boss de Toe Rag, qui remplace Jowe dans le groupe. Il joue aussi de la batterie sur I Was A Mod Before You Was A Mod. Le morceau titre est une sorte de punk-rock Mod âpre et teigneux monté sur un drumbeat entreprenant. «Evan Doesn’t Ring Me Anywhere» sonne comme une belle pop à la revoyure, amenée au pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette. C’est évidemment enregistré au Toe Rag Studio. Et puis voilà la perle : «Things Have Changed Since I Was A Girl». TVDan sort son bel accent cockney pour chanter cette pièce de glam-punk ahurissante, en compagnie de Sexton Ming. Ils font les cons ensemble. Watson bat le beurre dans son coin et TVDan claque des accords dans le fond. C’est le summum de la désaille - I hate my body I hate my legs - ils montent ça en neige et créent le frisson. TVDan appartient à la caste des inventifs.
Encore du live bien frais avec Paisley Shirts & Mini Skirts. Sur la pochette, une belle Anglaise shoote dans un ballon de foot. C’est l’enregistrement du tout premier concert du groupe en 1980. Toujours le même cirque à base de petite pop échevelée et maladive, qui sonne parfois comme du punk infantile. On comprend que Peely ait craqué, car c’est extrêmement inspiré et monté sur des brassées d’accords de clairette. Il n’existe rien de plus dépenaillé qu’un cut comme «I Remember Bridget Riley». De plus sensé qu’«Had To Happen». De plus trash que «Girl On A Motorcycle». Et on retrouve le hit qui les a fait connaître, «Part Time Punks» et qui sonne comme du Tav Falco.
Tu as aussi un live enregistré au Japon, apparemment, Made In Japan qui fut alors considéré comme un collector. On retrouve leur côté pruneau d’Agen vermoulu, c’est-à-dire culte ridé, le style désossé et lunatique auquel TVDan nous habitue depuis le début. C’est un rock abandonné des dieux. Il faut entendre les chœurs archi-faux sur «Baby You’re Only As Good».
Sur Don’t Cry Baby It’s Only A Movie, les TVPs rendent hommage aux Modern Lovers avec une cover de «Pablo Picasso». TVDan est un expert de l’étrange. Avec le morceau titre, il revient à ses romances chéries - I’ll be your Gary Grant/ You can be my Cleopatra - Le hit de l’album, c’est indéniablement «Sorry To Embarrass You», power pop acide à tendance freakbeat et soutenue par des guitares de grosse capacité et des chœurs monstrueusement désaillés. Sur chaque album des TVPs se niche une perle rare. TVDan est sans doute le seul en Angleterre à savoir montrer une élégance aussi foutraque. Il revient à Syd Barrett avec «My Very First Nervous Breakdown», un cut sacrément bien déréglé.
Puis les TVPs repartent en tournée an Allemagne, avec Sexton Ming au beurre. Ming est une figure légendaire de l’Underground Britannique, cosignataire du Stuckist Manifesto, un mouvement en faveur de l’art figuratif, pas loin de l’art naïf, précise Berton. Comme Ming a besoin de blé, il dit à TVDan qu’il est batteur, alors qu’il ne l’est pas, et décroche le job pour la tournée allemande. Les concerts sont chaotiques, mais ça ne dérange personne. TVDan et Ming picolent jour et nuit, tequila et bière. Puis une sorte d’animosité s’installe entre eux et ils sont toujours à deux doigts de se taper dessus. C’est la fin des haricots. Quand dans une interview, TVDan dit qu’il est une sorte de Godfather of independant rock, Ming l’insulte et lui dit qu’il n’est rien. «Part Time Punks», et c’est tout. Rien d’autre. Alors TVDan lui saute dessus. Bing ! Bang ! Bong ! Tiens dans ta gueule ! Berton décrit la fin de la tournée comme une atroce débâcle : les trois TVPs toussent, dégueulent et crachent dans des seaux imaginaires.
TVDan se retrouve au trou sur un bateau-prison, l’une de ces taules réservées aux voleurs de poules et à ceux qui arrivent en fin de peine. C’est la troisième fois qu’il est condamné et envoyé au ballon. En 2004, il démarre un journal en ligne et six mois après sa libération, il annonce le come-back sur scène des TVPs, avec Ed Ball on bass - The ressurrrection of the prince of twee pop.
My Dark Places paraît en 2006 et secoue bien le cocotier. «Special Chair» sonne comme une bénédiction, avec une grosse guitare en pendulum derrière la voix de fausset du dandy Dan. Nouvelle fête à la déglingue avec «All The Young Children On Crack». Il sort un incroyable son de fuzz sur «Dream The Sweetest Dreams» et sans prévenir, il balance un stupéfiant romper Moddish : le morceau titre. Jerky-fuzz motion. Énorme ! Comme s’il réinventait le Mod craze et derrière lui, ça bat la chamade. TVDan montre une fois de plus son infernale supériorité. Retour de cockney Dan avec «They’ll Have To Catch Us First», un vrai pulsatif trompetté et bouillonnant d’énergie. TVDan chante dans l’auberge espagnole des dieux du stade. Encore de la pop énorme avec «She Can Stop Traffic», hit Mod télévisuel chanté à la dandy fashion, dans l’esprit de ce que font les Pastels. Nouvelle preuve de l’existence du Dieu Dan. Berton pense que l’album est à la fois un succès et un échec. Il voit TVDan fragilisé. Mais toujours extraordinairement sincère.
Paraît la même année un autre album étonnant : Are We Nearly There Yet ? Histoire de faire fuir les curieux, il démarre avec une comptine enfantine et plonge son monde dans une sorte de psyché demeuré. Il tape ensuite «The Peter Gabriel Song» à la petite ramasse. Il vise le far-out, loin des repères ordinaires. Il fait certainement ce qu’aurait fait Syd Barrett, si Syd avait continué à pondre ses œufs d’or. Étrange clin d’œil à Eminem avec «The Eminem Song» - I’ve been down on smack/ High on crack - il fait son rapper de l’East End avec un accent cockney voilé - My name is DAN/ D/ A/ N - Puis il revient à ses premières amours avec «I Got Scared When I Don’t Know Where You Are», une jolie pop-song montée sur un bassmatic pouet-pouet et claquée à l’accord clair comme de l’eau de roche. TVDan cultive une science du son qui semble s’affiner d’album en album. Ce qu’il faut comprendre à travers ça, c’est qu’il ne fait jamais n’importe quoi. Il travaille le vieil esprit Moddish de l’ère psyché. Il recherche l’exotisme hypnotique. Ça reste un mélange surprenant d’inventivité et de m’en-foutisme éhonté. Nouvel hommage bizarre, cette fois à John Coltrane, puis retour aux Who avec «My Brightside» : ça sonne comme les Who en 1963. Effarant ! C’est pour ça qu’on adore TVDan. Il sait attaquer au débotté - Ah Mr Brightside ! - Avec un son amplifié à la fièvre jaune. TVDan, c’est les Who - I miss my Brightside - TVDan Treacy chante en cockney et écrase le calumet de la paix à coups de godillots. Il est LE punk. Full Time Punk.
Le dernier album en date des TVPs s’appelle A Memory Is Better Than Nothing. On est tout de suite frappé par l’ironie qui se dégage du titre de l’album. Ça doit faire maintenant trente-cinq ans que TVDan joue avec nos nerfs. C’est un album fantastique, la preuve par neuf que ce mec fait partie des géants du rock anglais, mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il peut agacer par son amoralité corporatiste. Le morceau titre est une remarquable pièce d’acid pop. TVDan tape au cœur de la cocarde Mod, en plein Mod craze, avec un son trash unique au monde. Il est plus fort que le Roquefort. Ses amis envoient des chœurs à la volée, n’importe comment, mais l’ensemble tient vraiment bien la route. On pourrait qualifier ça d’intimisme punky. Il répète bêtement son leitmotiv et le cut s’arrête sans prévenir. Une façon comme une autre d’exprimer le vanité de tout. Un souvenir vaut mieux que rien du tout, répète-t-il. C’est ainsi qu’il voit la fin des haricots. Ce qui ne l’empêche pas de revenir avec un balladif superbe, «The Girl In The Hand Me Down Clothing». On sent le vétéran revenu de toutes les guerres. «She’s My Yoko» est aussi un balladif de rêve. Ce mec a du génie, n’ayons pas peur des mots. Il se montre à la fois traînard et puissant. Ça joue de l’orgue et ça gratte par derrière. TVDan met un peu de gravité dans son timbre - Yes or no she’s my Yoko/ Please don’t go you’re my Yoko - Puis il nous gratte un gros «Walk Towards The Light» à coups d’acou et fausse ensuite sa voix pour partir à la dérive avec «Funny He Never Married». On sera frappé par la profondeur d’«Except For Jennifer». Il chante dans son coin. L’écoute qui veut. Nouvelle bizarrerie avec «People Think That We’re Strange». TVDan s’amuse avec des machines. Il envoie son boogie des clochards. Mark E. Smith serait-il allé si loin dans la désaille ? Va-t-en savoir. TVDan a dix ans d’avance. Il le répète : les gens pensent qu’on est bizarres. Il en joue. Gros son, cut bien bordé. Pur genius. Il ressort son accent cockney pour «My New Tattoo» et fait sauter la sainte-barbe. Il est monstrueux de prestance gaga. Il claque l’East End gaga avec de gros effets de guitare. On prenait les TVPs pour les brêles, mais c’est nous les brêles, TVDan fait tout simplement la suite des Who et de Syd Barrett. TVDan is the beast ! Il passe un solo de déglingue pure dans le désastre d’un bassmatic abandonné, il erre dans son no man’s land. Dan Treacy résiste encore. Espérons qu’il ne renoncera jamais.
Bon, c’est pas gagné. Berton indique que TVDan survit à trois overdoses qui ressemblent à des suicides ratés. Les TVPs montent une dernière fois sur scène en 2011. TVDan devait participer à un tribute à John Peel, mais apparemment il s’est fait démonter la gueule, Berton ne sait pas trop. Le voilà à l’hosto. Il est ratatiné, avec un caillot au cerveau qu’il faut opérer. Alors Berton imagine une dernière scène magique : Geoffrey Ingram emmène l’auteur rendre visite à TVDan, qui vit maintenant dans une maison médicalisée à la campagne. Pour Berton, c’est une occasion en or : «Si vous considérez qu’il vaut mieux être vivant que mort, alors force est d’admettre que la fin de vie de Daniel Treacy est à l’image de son œuvre, modeste, tragi-comique et tout sauf spectaculaire : l’obscur leader spirituel du rock indépendant condamné à une mort sinistre, suite à des problèmes de santé. Loin des yeux loin du cœur, le chanteur qui aimait tant disparaître finit oublié de tous.» Berton rend ici hommage à l’humour acidulé de TVDan. C’est un exploit littéraire qu’il faut saluer. Il fait même dérailler cette scène finale en concluant que le TVDan que l’emmène voir Geoffrey Ingram n’est pas le vrai TVDan. Après l’humour acidulé, le fantastique Shelleyien.
Il reste encore des choses à écouter, tiens comme ce Beautiful Despair enregistré en 1990 et publié en 2018, presque trente ans plus tard. Ne serait-ce que pour le morceau titre, délicieusement décadent et même désespéré. Du pur TVDan. Le cockney revient avec «Love Is A Four Letter Word», véritable TV shoot de heavy pop. Il s’y délecte à coups de nïce et de paradïse. Quel bel album, tout y est délicieusement délié, avec notamment l’«If You Fly Too High» qui semble sortir tout droit du White Album, et dédié à Alan McGee. Il faut aussi entendre TVDan gratter «Hard Luck Story Number 39» à l’acou de Dead End Street. TVDan chante sa pop sans aucun espoir. Jowe Head l’accompagne. En B, on tombe sur «Goodnight Mr Spaceman», une petite pop cockney chantée au mieux des possibilités. Encore une pure merveille de heavy pop avec «I Like That In A Girl». TVDan sait rendre la pop fascinante, il sait recréer le merry-go-round des sixties. Il fait aussi un grand numéro de funambule avec «Suppose You Think It’s Funny» qu’il chante à l’angle de la sérénade.
Dans son fanzine Communication Blur, Alan McGee raconte comment Dan Treacy concevait un set des TVPs : 40 personnes sur scène qui, pendant que le groupe jouait, distribuaient des drogues, des bananes et du café au public, projetaient des films amateurs, peignaient des toiles, lisaient des poèmes et à la fin du set, TVDan sciait sa Rickenbacker en deux, comme le fit Tav Falco à Memphis.
Signé : Cazengler, Television Penibility
Benjamin Berton. Dreamworld: The Fabulous Life Of Dan Treacy. Ventil Verlag 2022
Television Personalities. And Don’t The Kids Just Love It. Rough Trade 1980
Television Personalities. Mummy Your Not Watching Me. Whaam! Records 1982
Television Personalities. They Could Have Been Bigger Than The Beatles. Whaam! Records 1982
Television Personalities. The Painted Word. Illuminated Records 1984
Television Personalities. Chocolate Art. Pastell 1984
Television Personalities. Privilege. Fire Records 1990
Television Personalities. Camping In France. Overground Records 1991
Television Personalities. Closer To God. Fire Records 1992
Television Personalities. I Was A Mod Before You Was A Mod. Overground Records 1995
Television Personalities. Paisley Shirts & Mini Skirts. Overground Records 1996
Television Personalities. Don’t Cry Baby It’s Only A Movie. Damaged Goods. 1998
Television Personalities. My Dark Places. Domino 2006
Television Personalities. Are We Nearly There Yet ? Overground Records 2007
Television Personalities. A Memory Is Better Than Nothing. Rocket Girl 2010
Television Personalities. Beautiful Despair. Fire Records 2017
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Dans notre chronique 561 du 26 / 07 / 2022 nous présentions le premier EP de Telesterion, nommé An ear of grain in silence reaped, or voici que le groupe projette pour les mois de mars et de septembre ( 2023 ) de faire paraître toute une série de titres dont les sorties successives correspondront aux dates antiques durant lesquelles les Mystères ( les petits et les grands ) d’Eleusis étaient célébrés. Nous en reparlerons, ces procédés de reviviscence des cultes antiques dans la Grèce moderne nous intéressent vivement. Ceux qui ont lu Le serpent à plumes de D. H. Lawrence seront à même de comprendre les implications opératoires de telles prédilections.
En attendant la proximale réalisation de cette annonce, nous nous penchons avec intérêt sur les deux dernières productions de Telesterion parues en septembre et décembre 2022.
HOUSE OF LILIES
TELETESRION
( Septembre 2022 )
La pochette peut sembler anodine. Une fresque assez banale, un mur devant lequel se distinguent deux murets, l’on ne sait s’ils cernaient un bassin ou un parterre de fleurs. A moins qu’ils ne soient de simples bancs pour s’asseoir et discuter. Ce qui est indiscutable c’est la présence des lys. Ce sont d’ailleurs eux qui ont donné son nom à la maison dont seule subsiste cette fresque et qui a été victime d’un incendie vers 1500 avant notre ère. Elle est actuellement conservée au Musée Archéologique d’Héraklion.
Ce seul nom fait frémir, Héraklion se situe en Crète et c’est sur son territoire que se trouvent les ruines d’un célèbre palais, celui de Knossos, détruit par une éruption volcanique, lieu mythique par excellence, quelques noms suffisent à raviver les mémoires défaillantes, Minos, Pasiphaé, Minotaure, Dédale, Icare… Nous en rajouterons deux, Thésée qui tua le Minotaure et put ressortir du labyrinthe dans lequel le monstre était enfermé grâce au peloton de ficelle qu’Ariane, fille du roi, lui avait procuré…
Nous en savons maintenant assez pour tirer sur le fil de notre imagination et essayer de comprendre ce qui se passe dans les trois titres – ils forment un véritable triptyque – de cet opus. Nous conseillons de lire d’abord les trois textes en orange, puis les trois textes en vert, et enfin les trois textes en bleu. Mais chacun fera ce qu’il voudra.
The mistress: un son qui évoque les nuages de poussières soulevées par l’explosion du volcan du Santorin, comme si ce qui parvenait à nos oreilles venaient de loin, mais une fois passé cette sensation d’étouffement auditif, nous comprenons que ce qui se dévoile à nous relève d’un passé prestigieux, que nous sommes plongés en une histoire prodigieuse et qu’il faudra regarder sous la violence des coloris de cette grande geste qui nous est racontée pour en deviner le sens secret. Les trois figures féminines ne désignent qu’une seule et même personne. Chacun des titres évoquent un seul de ses aspects. Maîtresse, jeune fille, mère. Nous pouvons prononcer son nom Ariane. Elle est un peu la figure oubliée de la légende minoenne, pourtant elle en détient le principal mystère, très loin de toute anecdote. Elle est la maîtresse de Thésée qui l’abandonnera, mais Dionysos la recueillera pour sa beauté, Partagera-t-elle la vie du Dieu jusqu’à la fin sans fin de ses jours immortels, où sera-t-elle transpercée par une flèche mortelle tirée sur l’ordre de Dionysos par Artémis, la déesse des jeunes filles. The maiden: la même musique, normal puisque les trois morceaux racontent la même histoire, mais ici elle est plus violente, des clameurs de guetteurs, le chœur qui prophétise l’horreur, et un tsunami de batterie chevauche une vague monstrueuse dont les eaux furieuses déferlent sans fin, elles passent, elles détruisent, elles recouvrent tout, elles emportent les morts et les vivants, et le fléau cesse encore plus brutalement qu’il n’a commencé. Avons-nous seulement le temps de réfléchir, subjugués par une telle beauté. Jeune fille la force vitale de la jeunesse, la beauté, le sang, la fougue, les palpitations de la chair, le flot impétueux des désirs que rien ne retient, qui courent telles des cavales déchaînées ivres de liberté et d’accomplissement. Rien ne saurait s’opposer à cette fureur, hymne à la joie et à la vie. Seul un Dieu était digne de la beauté d’Ariane. L’a-t-elle rendu jaloux pour avoir été amoureuse de Thésée, que sont les lys blancs de la fresque confrontés aux lys rouges, la blancheur est-elle celle des ombres que nous devenons lorsque nous sommes morts, et le rouge évoque-t-il la lymphe triomphale et inaccessible des Dieux. The mother: sonorités tintantes d’une geste héroïque que l’on pressent grandiose, même si ici parmi ces tentures chorales assourdissantes et incompréhensibles l’on comprend que l’on atteint à une sorte de plénitude métamorphosale, distinguons un rythme processionnel mais tout se précipite une dernière fois avant que le son ne décroît lentement. De quoi s’agit-il au juste, Reprenons nos esprits. Une autre version conte qu’Ariane aura donné des enfants à Dionysos, mais si l’on regardait cette histoire par le petit bout de la lorgnette, si ce n’était pas Ariane qui était intéressante, si elle n’était qu’une réplique de Dionysos, car Dionysos aussi a connu la mort, n’a-t-il pas été déchiré par les géants, et n’est-ce pas Zeus qui a réuni les lambeaux de chair dispersées et donné l’immortalité en cadeau. Que nous disent ces belles histoires, que nous cachent-elles, comment les interpréter sinon en les lisant comme le secret même de l’immortalité, les Dieux ne sont que des figures conceptuelles, une mère meurt mais survit en ses enfants, comme la graine dans la terre qui se détruit elle-même en donnant naissance à une nouvelle plante. Nous retrouvons-là un des enseignements d’Eleusis. ( Voir notre chronique sur l’EP DE Telesterion dans notre livraison 561 )
ECHOING PALACE
TELESTERION
(Décembre 2022 )
Comme pour An ear of grain in silence reaped l’on retrouve en couverture une séquence de la fresque de la villa des Mystères de Pompéi.
Le titre nous renvoie au palais de Knossos, ils sont d’ailleurs d’une facture similaire mais la pochette nous présente deux jeunes femmes, et nul besoin d’être titulaire d’un master de mathématiques pour s’apercevoir qu’il n’y a que deux morceaux. Faisons comme si chacun des deux titres était une transcription musicale des pensées de ces deux êtres féminins.
Il faudrait savoir mais nous ne le saurons jamais, ces portraits sont-ils des inventions de l’artiste où les deux dames de la maison ont-elles servi de modèles. A-t-on pensé à comparer la fresque de la villa des Mystères avec les portraits du Fayoum, l’on répondra que ce sont deux moments historiaux qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, toutefois ils possèdent un sacré trait d’union, la représentation des deux faces de toute existence: le recto de la vie, le verso de la mort. L’on a l’habitude de regarder les images comme des compositions qui voudraient signifier quelque chose de précis. Mais entrer dans les figurines et les écouter relève au gré des scientifiques, ce que nous ne sommes point, de la folie la plus absurde.
Echoing palace: dès les premières sonorités une évidence s’impose - il en sera de même pour le morceau suivant – l’instrumentation et les chœurs s’inscrivent dans la continuité lyrique des deux précédents, à une différence près, l’on dirait que la musique est ici plus renfermée sur elle-même, The house of lilies est une évocation extérieure du monde, ce qui ne nuit nullement à son aspect ésotérique, nous entrons en quelque chose de plus intime, dans la pensée de la dame à sa toilette, certes si l’on se fait belle c’est que l’on envisage de séduire le monde extérieur, l’on se soucie du regard des autres, quels conseils chuchotent les chœurs de sa voix intérieure à l’oreille des désirs de notre belle dame. Vers qui escompte-t-elle tourner les appâts de sa beauté. Qui veut-elle séduire, à quel Immortel désire-t-elle s’offrir… Ne sommes-nous pas dans la villa des mystères… Quels sont les actes rituelliques de l’initiation suprême. Echoing palace 2: le ton est plus grave, nous changeons de sujet, la coquette cède la place à la penseuse, ne serait-ce pas la même personne, avant et après, entre ces deux moment s’est déroulé le rituel, celle qui attendait l’Innommable n’espère plus, peut-être même n’espère-t-elle plus rien, elle a vu, elle a su, elle a entendu, elle a connu elle pose un regard fatigué sur le monde, le temps de l’innocence et de la quête est terminée, son regard se voile d’une tristesse indicible, n’est-elle pas déjà de trop en ce monde, elle est là posée, telle une stèle épigraphique sur le chemin, beaucoup s’arrêteront, la regarderont, ne déchiffreront rien et passeront, alors qu’elle est la réponse à ceux qui cherchent, sur ce chemin, qui tourne sur lui-même comme le serpent qui se mord la queue pour rester dans son éternelle présence.
Grandiose et splendide.
Damie Chad.
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De temps en temps je tape Poe, ou Edgar Poe, ou Edgar Allan Poe, sur le net, je pêche au hasard ( Poebjectif ), avec Poe l’on ramène souvent quelque chose dans ses filets, cette fois-ci, un groupe de rock, deux membres résidant dans l’ouralienne région de Russie.
Alexander I: bass guitar, steel sheets, spiral spring / Kein Necro: samples, synthés.
Entre l’un qui se voit un destin impérial, et l’autre qui a déjà rédigé sa nécro, nous sommes entre de bonnes mains, l’on ne s’attend peut-être pas à l’ange mais pour le moins au bizarre. Depuis 2003 Zinc Room a déjà produit onze albums. Celui-ci consacré à Poe est inclus dans une trilogie dont le premier volume porte sur Lovecraft, nous voici en bonne compagnie. Je n’en veux pour preuve que le titre d’une de leur précédente production: The house on the edge cemetery, simple mais terriblement efficace.
Le principe de l’album est des plus simples, chacun des neuf titres évoque une nouvelle de Poe. Ne dites pas que la vôtre n’est pas là, ou pire quel bonheur ils ne l’ont pas oubliée, ce serait le signe que vous n’avez pas compris grand-chose à Poe. Chacune des nouvelles de Poe est le fragment d’un puzzle mental que l’on se doit d’assembler et de réassembler comme le jeu des perles de verre de Hermann Hesse.
La pochette du CD est très réussie, l’artwork est de Kein Necro, elle ne montre rien, elle suggère, chacun y verra ses propres phantasmes. Pour ceux qui n’aimeraient pas se regarder dans cet obscur objet de leurs désirs craintifs refoulés, Kein Neco est sympa, vous offre une seule image, claire, nette et précise ( presque ) dans une sombre forêt l’entrée d’un tombeau seigneurial vous attend. Une image qui ne déparerait pas pour illustrer un conte de Stéphane Mallarmé ou de Villiers de l’Isle-Adam. Pensons à Igitur, ou à Véra.
POE
ZINC ROOM
( Dead Evil Production / 2020 )
The murders in la rue Morgue: une nouvelle policière si l’on préfère, mais à lire comme un diagramme raisonné du fonctionnement du raisonnement humain. Relisons Monsieur Teste mais aussi Agathe ( Le manuscrit trouvé dans une cervelle ) de Paul Valéry et intéressons-nous aux développements actuels de l’intelligence artificielle puis imaginons notre conteur en joueur d’échecs pour mesurer combien Edgar Poe avait de coups d’avance sur notre modernité… Coups de semonces hyper violents, l’horreur déboule à toute vitesse, un ruissellement d’énigmes tombe sur vous, des élingues sonores peut-être en imitation des hurlements des victimes nous assaillent si vite que l’on comprend que personne ne pourrait arrêter cette férocité animale en pleine action… l’on arrive à une saturation sonore difficilement supportable, suivi d’un bruit de scies mécaniques sifflantes de l’esprit qui désincarcèrent le mystère jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une once. The tell-tate heart: ( Le cœur révélateur ): histoire fantastique de l’assassin qui se dénonce lui-même, existe-t-il une cloison entre folie et intelligence, ou alors n’est-on trahi que par soi-même, les petits esprits parleront de remords, j’évoquerai plutôt la chambre close du solipsisme: évidemment ils ont opté pour les battements du cœur, mais pas comme on l’attendrait, pas la pulsation régulière que rien ne saurait arrêter, non ça cliquette de tous les côtés, dans tous les sens, des idées qui s’entrechoquent dans une boîte crânienne, ce muscle cardiaque ne bat pas il galope, il ignore la ligne droite, il est ici et il est là, il est partout en même temps, le voici énorme, éléphantesque, il grandit, il grossit, il mange le monde, il dévore l’univers, il stridule, il éjacule à flots ininterrompus, les digues de la raison cessent, le cargo de la mort et le paquebot de la folie unissent leurs sirènes. The premature burial: pire que la peur de la mort, la peur d’être enterré vivant. Une des nouvelles les plus terribles de Poe, peut-être parce qu’elle se termine bien: note funèbre qui vous assaille et qui ne vous lâche plus, une espèce de mouche tsé-tsé définitive qui tourne dans votre tête, dont les ailes cymbaliques vous cisaillent les neurones, l’angoisse s’engouffre dans votre gorge, elle vous envahit, agite de soubresauts désespérés votre corps, serez-vous le seul à entendre vos borborygmes de pantin désarticulé telle une marionnette malmenée par les cordes inexorables que le marionnettiste que vous êtes emmêle à déplaisir pour mieux vous ligoter pour l’éternité. Vous respirez lorsque le morceau se termine. Cataleptique! The back cat: le même thème que Le cœur révélateur mais ici on assiste à tout le processus de la folie qui s’installe peu à peu et qu’il est impossible au narrateur de conjurer, l’alcool ne l’aide pas, avec en plus cette présence du chat(s) noir(s) symbole reproductif de l’Inévitable fatum: aux premiers tintements l’on se dit que le groupe ne s’est pas nommé la chambre de zinc par hasard, par la suite l’on est enfermé dans une cloche de plomb soumis à un bombardement d’irradiation atomiques, serions-nous le chat noir de Shroëdinner pris en otage dans une expérience de la dichotomie temporelle, stridence de miaulements recouverts par des déflagrations imparables, priez pour vos propres oreilles, le morceau dure dix minutes et si vous allez jusqu’au bout vous risquez d’en être marqué pour le restant de vos jours, s’il vous en reste, entendez le noise comme une noire araignée géante qui s’accroche de ses huit pattes velues comme une ventouse suceuse de votre sang, votre martyre ne s’achèvera donc jamais, la mort se colle et ne vous quitte plus. Effrayant. The oval portrait: ( 1842 ): à mettre en relation avec Le chef-d’œuvre inconnu d’Honoré de Balzac: au bas mot une histoire de vampirisme artistique, à son plus haut degré une réflexion de Poe sur sa propre existence: Moins de bruit, moins de boucan, le décor du conte s’y prêterait, mais non Zinc Room, ne nous laisse aucune échappatoire, du conte ils ne retiennent que sa plus intolérable noirceur, ont-ils compris que l’histoire n’est pas racontée jusqu’au bout, qu’elle se termine comme une décapitation, parce que si on essaie de la continuer logiquement ne s’offrent à nous que l’hypothèse de suites plus cruelles les unes que les autres, ils ont ouvert la porte dérobée du gouffre et leur musique se retrouve du côté de la force ou de la farce la plus noire. The pit and the pendulum: un des contes les plus célèbres de Poe, il est dommage que la fin soit bâclée en six lignes par l’intervention d’un deus ex machina salutaire, dans La torture par l’espérance Villiers de l’Isle-Adam a machiné un finale à la hauteur de l’angoisse suscitée par les vingt premières pages de Poe: tubulures caverneuses, les ailes noires du pendule se précipitent lentement vers l’ignominique destin, la Mort s’amuse-t-elle avec une faux d’un nouveau genre, l’on entend le souffle de l’air déplacé par le corbeau de l’angoisse, nous voici dans le cortex rétracté du supplicié, jusques là Zinc Room reste dans l’harmonie imitative, l’on n’entend plus que le balancier qui descend imperturbablement, mais une fureur endémique se déploie, serait-ce l’incendie terminal. De toutes ces mises en musique des nouvelles de Poe celle-ci est la moins probante, trop près du texte dont elle ne semble proposer que la lecture de sa première moitié. The descent into the maelström: dans ce chef-d’œuvre absolu se mêlent deux thèmes consubstantiels au génie de Poe, une fascination de l’abîme qui confine à une curiosité prométhéenne métaphysique et la puissance démonique de l’esprit humain: une terreur tourbillonnaire en une seconde nous voici sur l’esquif penché sur l’abîme, encore plus effrayants ces grondements qui semblent provenir du fin fond de l’abysse, mille trompes de vaisseaux engloutis qui résonnent comme si les râles de détresse étaient restés prisonniers de l’élément liquide, l’on tourne sans fin en une spirale prodigieuse, plus on se rapproche du centre plus le bruit s’amplifie, l’on se dit que ce morceau pourrait aussi bien servir pour la bande-son d’un film de science-fiction contant la mésaventure d’un vaisseau spatial aspiré par un trou noir, n’oublions pas toutefois que cette descente dans le maelström n’est que l’image poétique d’une descente au fond de l’esprit humain. Morella: réincarnation ou retour du même, ce conte soulève davantage de questions qu’il n’en résout, est-ce par hasard si dans ces lignes Poe révèle ses lectures de la branche philosophique du romantisme allemand, soyons curieux de la manière dont Zinc Room traduira la douce quiétude qui émane de ce court récit : joue sur les résonance et les échos d’une chose, imaginez celle que vous voulez qui se perpétue, renaissant de ses cendres à chaque millénaire et s’enfuyant vers l’immortalité, la musique est effrayante mais elle ne fait pas peur, elle attire, elle séduit, un marécage dans lequel vos rêves s’engluent lentement, sans doute parce que nous sommes pas assez affirmés pour mériter de renaître à nous-mêmes. The fall of the house of Usher: un must poesque. La proximité avec Balzac est probante, une communion d’esprit, tous deux ne furent-ils pas des lecteurs de Swedenborg,.. Ce conte repose sur la créance pythagoricienne en l’unité des trois règnes de la nature, ainsi il y aurait la possibilité d’une osmose opératoire entre le monde minéral et la bête humaine. Une idée chère à Poe, que la destinée individuelle s’inscrit pour certains êtres dans le destin d’une généalogie, contrairement à l’Igitur mallarméen dans cette nouvelle de Poe ce n’est pas le héros terminal qui clôt la geste généalogique mais les murs de pierre de la Maison Usher. Le lecteur se reportera aussi avec bénéfice au sonnet Vers dorés de Gérard de Nerval: commencent par la fin, par la chute, par l’effondrement de la maison Usher, se complaisent dans ce moment qui clôt la nouvelle, il est des images mentales ou sonores qu’il est bon de passer au ralenti pour mieux goûter à cette sensation de l’inexorable, cette chute ne la vivons-nous pas chaque jour puisque nos fondations les plus solides sont fissurées par cette mort insidieuse qui nous attend, et une fois mort ce n’est pas encore fini puisque notre corps subira aussi procédés de putréfactions et de disparition. Zinc Room édifie une espèce de sablier sonore que l’on écoute s’écouler et s’écrouler avec fascination, et nous rappelle que la Maison d’Usher n’est que notre miroir, et comme nous n’aimons pas nous regarder dans son eau glauque, le son nous transperce et nous envahit sans pitié.
Cet opus est un chef-d’œuvre terrifiant. Digne d’Edgar Poe.
Damie Chad
ANOUSHKA
PATRICK EUDEKINE
( Le Passage Editions / 2020 )
Une belle couve signée d’Octave Anders. De loin dans ce lot de bouquins disparates je ne voyais qu’elle. M’attendais pas un livre sur le rock, qui plus est un roman de Patrick Eudeline. Je prends, avec Provins privé d’internet, et ses librairies dépourvues de livres, les soirées risquent d’être longues.
Bref j’ai lu. Pas content, mais pas mécontent non plus. Un policier, suffit de se laisser porter par le récit, suit sa pente naturelle, ne vous file pas non plus l’impression d’être sur un bateau ivre. Pas de véritable affaire, le véritable sujet c’est le mouvement punk. Attention, musicalement c’est assez maigre, quelques titres de disques par-ci par-là et c’est tout. En plus l’on n’est ni à New York, ni à Londres. Juste à Paris. Rétrécissons la focale. Dans la mouvance punk, entre 1975 avant le début et 1982 après la fin. Toute une époque, mais un tout petit milieu.
Y a deux héros. Simon qui raconte l’histoire à la première personne. De temps en temps il croise le second qui ne joue aucun rôle, qui ne participe même pas à l’action. Un certain Eudeline. En fait c’est lui le sujet du roman. Non il n’a pas la grosse tête, ne tire pas la couverture à lui. Simon lui sert de paravent. Lui permet de faire le bilan du mouvement. Négatif.
N'y va pas de main morte. Ne parle pas du punk, mais des punks. Pas de tous. De ceux issus de la bourgeoisie aisée. Très aisée. Des fils et des filles de bonnes familles qui ont dérivé. Qui se sont affranchis de leurs parents, qui ont mis leur révolte dans la musique (un peu) et la dope ( beaucoup). Z’ont un sacré filet de sécurité derrière eux, certains s’en servent quand les gros ennuis surgissent… Ne les critiquons pas que ferions-nous à leur place si notre papa ou notre maman était plein aux as…
Bon parlons d’Anoushka, c’est-elle l’héroïne, manque de chance elle a disparu. Tout le monde la cherche, même la police, sauf elle. Le lecteur la retrouve après la fin du bouquin. Dans l’épilogue. Littérairement c’est assez maladroit, assez mal construit. Dommage, car c’est la seule qui reste fidèle à ses principes. Un bien grand mot. Vit au jour le jour. Trouve toujours un plan de secours en réserve pour arriver au lendemain. Elle assure, sans foi, ni loi, ni toit. Elle se débrouille bien. Prête à tout et prête à rien. C’est ce dernier mot qui la résume le plus. Une nihiliste qui ne croit même pas au nihilisme. Comment cela finira-t-il, elle ne se pose même pas la question. Elle mord à pleines dents, ni dans la vie, ni dans le sexe, ni dans la drogue, mais dans le rien, dans le vide…
Les lecteurs pointilleux feront remarquer que 1982 c’est un peu excessif pour le punk. Eudeline le sait très bien, l’explique comment le punk est remplacé par les jeunes gens modernes, mais il n’articule pas le pourquoi, à vous de trouver le point de jointure sociologique, l’est très simple lorsque l’on n’a pas dépassé le nihilisme il ne reste plus qu’à faire marche arrière et s’ériger au plus vite de nouvelles valeurs, c’est la seule manière de trouver une planche de salut dans le nihilisme, car le nihilisme c’est encore une valeur. Il en est des valeurs bourgeoises comme des valeurs prolétariennes.
Damie Chad.
ROCKAMBOLESQUES
LES DOSSIERS SECRETS DU SSR
(Services secrets du rock 'n' roll)
Death, Sex and Rock’n’roll!
EPISODE 19 ( Rébarbatif ):
96
Les pas se rapprochent. Derrière la porte je suis prêt à toute éventualité, sur le palier une voix juvénile claironne:
_ Damie ne me fais pas attendre!
La porte s’ouvre impétueusement, je n’ai pas le temps d’esquisser le moindre geste qu’Alice se jette dans mes bras:
_ Oh Dami chéri, je commençais à croire que tu m’avais oubliée!
En un tour de main, elle m’entraîne sur le lit, je ne sais comment mais en quelque secondes je me retrouve aussi nu qu’un vermisseau, Alice la jouvencelle est serrée contre moi aussi dénudée qu’un vermicelle, sa bouche cherche mes lèvres… Je ne sais pas si vous avez souvent fait l’amour avec une morte, mais je peux témoigner qu’elles ont un sacré tempérament et je comprends que tous ces récits médiévaux relatant l’appétit insatiable des goules ne sont pas des historiettes inventées de toutes pièces destinées à impressionner un public illettré et crédule… La fougue de nos ébats ne m’a pas empêché d’entendre le bref aboiement d’un chien, est-ce Molossa ou Molossito, je l’ignore, l’avertissement est clair: l’ennemi arrive!
Nous étions, Alice et moi, si enchevêtrés que j’ai du mal à me retirer d’une étreinte si fougueuse. De qui s’agit-il? En tout cas à la violence avec laquelle on a ouvert et refermé la porte d’entrée de derrière, il est certain que l’on me cherche, le vacarme des marches montées à toute vitesse, n’augure rien de bon, je n’ai même pas le temps de me saisir de mon Rafalos que j’avais glissé sous l’oreiller.
Je me suis déjà trouvé en meilleure posture, l’on est sûrement pressé de me trouer la peau. Je vous rassure, ce n’est pas à moi que l’on en veut. Un coup de pied dans la porte et une furie entre dans la chambre, se jette sur Alice et essaie de la tirer du lit par les cheveux. C’est Alice!
_ Fous-moi le camp de là, sale trainée, il est à moi!
Les deux Alice sont maintenant face à face, leurs yeux jettent des éclairs de haine, un tumultueux crêpage de chignons s’engage… Que faire? J’avoue que j’hésite… Un nouvel aboiement m’avertit de prendre garde, un nouvel assaillant! Juste à ce moment les deux Alice se jettent sur moi et chacune des deux me tire de son côté, j’essaie de saisir mon Rafalos mais il est tombé sous le lit, ce coup-ci c’est un taureau furieux qui a enfoncé la porte et qui se rue dans les escaliers, technique d’assaut commando ai-je le temps de penser, mes secondes sont comptées! Un halètement bestial et la porte semble soufflée par une explosion, un hurlement à crever les tympans d’un sourd, le fameux krikitu destiné à paralyser les adversaires retentit, les deux filles métamorphosées en statue ne bougent plus.
_ Totalement folles toutes les deux, quand il y en a pour trois, il y en a aussi pour quatre!
En un tour de main Carlos se déshabille et nous rejoint sur le lit, ce renfort inopiné me ragaillardit, comme dirait Ronsard nous nous livrâmes sans état d’âme aux plus folles folastries. Le quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrel est un très beau livre…
Molossa et Molossito nous ont-ils avertis? Toujours est-il que tout à nos occupations du moment nous n’avons rien entendu. S’est-on glissé subrepticement dans la maison, les escaliers ont-ils été montés sur la pointe des pieds, je suis incapable de répondre à ces angoissantes questions. Pire nous n’avons même pas remarqué que quelqu’un était entré dans la chambre, nous en serions-nous même aperçu s’il n’avait donné de la voix…
_ Me too!
Et d’un bond léger le Chef, le très cher était nu et n’avait gardé que son Coronado, se joignit à nos jouissances. Comme quoi après le Quatuor d’Alexandrie il est de bon ton d’enchaîner sur Le quintette d’Avignon, du même Lawrence Durrell.
97
Le Chef alluma un Coronado:
- Certes hier après-midi nous avons passé une agréable journée, la tête nous a cependant un peu tourné, quand nous nous sommes repris il était dix heures du soir passées et l’enterrement de Lamart et Sureau était terminé depuis longtemps, nous avons s’il le faut laisser passer des éléments importants que nous aurions pu glaner, nous avons failli dans notre mission, un peu par votre faute agent Chad si vous n’aviez pas cédé à vos instincts les plus bas, nous ne serions pas dans l’impasse totale, il ne vous reste plus qu’à nous proposer un début de piste pour poursuivre notre enquête, je vous somme de me faire une proposition intéressante dans les quatre minutes qui viennent! Top chrono!
- Oui Chef, mais pourriez-vous préciser ce que nous cherchons!
- Agent Chad je n’en sais fichtre rien, d’habitude je fume une dizaine de Coronados et la situation s’éclaire, mais là je suis au point mort. Tenez prenez un Coronado, cela vous aidera peut-être.
J’ignore si le Coronado hormis le fait que je fus tout le reste de la journée agité de fortes quintes de toux y fut pour quelque chose mais toujours est-il qu’une idée que les esprits pondérés jugeront saugrenue s’imposa au turbo exponentiel de mon cerveau.
_ Chef si nous échouons c’est que nous n’employons pas la bonne méthode, en gros nous essayons de suivre rationnellement des pistes qui ne nous emmènent nulle part, faisons le contraire, agissons irrationnellement et peut-être trouverons-nous quelque chose de tangible.
_ Agent Chad, il n’y a aucun doute, le fait de me fréquenter vous rend de plus en plus intelligent, si vous fumiez quotidiennement une minimale quarantaine de Coronados, vous auriez quelque chance un de ces jours de me remplacer à la tête du service, mais ne perdons pas de temps à mettre votre idée en application.
98
Nous avions laissé après fortes recommandations de prudence Molossito et Molossa en faction sous la voiture que nous avions stationnée juste devant la porte d’entrée de l’immeuble dont nous empruntons les escaliers. Le Chef devant, moi derrière, mais tous deux la main sur notre Rafalos, nous étions dans un des pires endroits du dix-huitième. Nous nous arrêtâmes sur le palier du douzième étage devant une porte blindée, aucune sonnette nous nous apprêtions à frapper lorsqu’ une vois grésilla dans un interphone vraisemblablement planqué au plafond.
_ Entrez messieurs, je vous attendais.
L’endroit était minuscule, un placard à balais aménagé en local de réception. Mme Irma était assise sur un fauteuil, dans le peu de lumière nous ne distinguions vraiment que le bout incandescent de sa cigarette fichée dans un porte-cigarette de vingt-cinq centimètres de long. Nous prîmes place sur deux chaises de bois vermoulu.
- Excusez la modestie de cet havre de méditation de haute perspicacité, messieurs je suis à votre service, que puis-je pour vous?
Le Chef alluma un Coronado:
_ Pour moi personnellement rien, tout va bien mais mon ami souffre d’un mal insondable, avant de le laisser s’expliquer, je tiens à vous dire que si nous vous avions choisie, c’est pour la réputation flatteuse qui vous entoure, si l’on en croit l’article du Parisien Libéré de ce matin.
_ Ah oui, l’article de Lamart et de Sureau, ils sont venus m’interviewer il y a huit jours, dire que maintenant ils sont morts, nous sommes vraiment peu de chose sur cette terre… Mais quel est au juste votre problème Monsieur.
_ C’est étrange Madame, toutes les filles que je rencontre depuis un certain temps s’appellent Alice. Cette coïncidence est extraordinaire, j’éprouve une espèce de malaise, ne serais-je jamais aimé que par des Alice?
_ Qui peut dire l’avenir, Cher Monsieur, tendez-moi votre main afin que j’étudie ce problème, non pas celle-là, l’autre, pas celle-ci non plus.
_ Hélas Madame je n’en possède que deux!
_ Vous n’êtes pas très malin Monsieur, ça ne m’étonne pas que l’abondance du prénom Alice vous étonne, je parlais de la main qui tiendrait trois billets de cinq cents euros par exemple.
_ Voici Madame excusez-moi, mais pour Alice…
_ Un jeu d’enfant, tenez prenez cette feuille blanche, écrivez ALICE en grosses lettres majuscules.
_ C’est fait, Madame la voici…
_ Gardez-la, lisez-moi à haute voix tout ce que vous lisez dessus
_ A LI CE et après que dois-je faire?
_ Je ne peux plus rien pour vous, Messieurs, je vous souhaite une bonne matinée.
Je me levai de ma chaise rapidement, vexé et mortifié. Mais le Chef sortit son portefeuille et glissa dans la main de Mme Irma une grosse liasse de billets de cinq cent euros.
_ Je vous remercie Madame, je vous prie d’excuser mon ami, ce n’est pas de sa faute, je pense qu’il souffre des premières atteintes de la maladie d’Alzheimer, il ne souvient même plus de ce qu’il a dit ce matin. Je vous souhaite une bonne journée Madame…
A suivre…
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Author: Golda Nolan II
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